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LA FIN TRAGIQUE D'HENRI SOREY

Lors des travaux de construction de la route à l'entrée du hameau de Bossy, une tragédie coûta la vie à un ouvrier travaillant sur ce chantier. Le drame se produisit le mardi 11 novembre 1879. Le Journal de Genève relate les faits dans son édition du 13 novembre.

Un terrible accident est arrivé mardi dans la matinée dans la commune de Collex-Bossy. En ce moment un entrepreneur de terrassements, M. C. exécute à Bossy des travaux pour une route que font de concert l'Etat et la commune, et il est nécessaire d'avoir recours à des mines pour pratiquer une tranchée dans une espèce de molasse où la pioche resterait inefficace : ces mines sont chargées à la dynamite.

Vers 7 h. 1/2 du matin, M. L. qui s'était rendu pour affaires à Bossy, se trouvant près de l'auberge, située à l'entrée du village, vit le chef-mineur sortir avec deux cartouches de dynamite du café tenu par Mme veuve Contat ; il demanda à M. Emery, frère de cette dame, et adjoint de la commune, comment il pouvait permettre que l'on fît chauffer chez elle cette dangereuse matière. M. Emery répondit à M. L. qu'il avait déjà fait des observations à ce sujet, et qu'on lui avait déclaré que cette opération n’offrait pas le moindre danger. Néanmoins il promit d'y mettre aussitôt empêchement, et en effet, à sa requête, l'entrepreneur donna l'ordre au chef mineur de ne plus rentrer dans le café dans ce but. Plus tard, vers 10 h. 1/2, M. L., sur la proposition de l'un de ses amis d'aller voir les travaux, s'y rendit avec lui ; en passant devant l'auberge, ils y entrèrent pour un instant ; il s'y trouvait aussi en ce moment Mme Emery, la mère de Mme veuve Contat. A peine ces messieurs étaient-ils assis, qu'une formidable explosion retentit dans la cuisine attenant à la chambre où ils se trouvaient, et les renversa sur le plancher ; des cris épouvantables partaient de la cuisine. Lorsque la fumée qui la remplissait fut un peu dissipée, ils aperçurent étendu sur le sol un ouvrier mineur qui, malgré la recommandation de l'entrepreneur, était venu de nouveau chauffer au feu de la cheminée des cartouches de dynamite qui cette fois avaient fait explosion. Ce malheureux avait eu les deux poignets enlevés, ainsi que toutes les chairs des jambes, des genoux et des cuisses. Ces parties de son corps étaient carbonisées ; il poussait des cris lamentables, appelant à l'aide, suppliant qu'on l'achevât.

Une formidable explosion retentit dans la cuisine. Image d'illustration

Les deux dames n'avaient eu, par une espèce de miracle, aucun mal, quoique l'une, Mme C, eût été jetée dans une armoire vitrée, et l'autre, Mme E., enlevée du siège sur lequel elle était assise et qui a été complètement brisé, et lancée par la force de l'explosion jusque dans le jardin. La cuisine elle-même offrait le spectacle d'une dévastation inouïe ; tout ce qu'elle contenait était absolument démoli, y compris la cheminée ; la marmite dans laquelle cuisait le repas de la famille et des ouvriers était en pièces, ainsi que les autres ustensiles, et quant au contenu il avait disparu absolument sans laisser aucune trace ; il n'y avait même plus de bois ou de cendre au foyer. C'est au milieu de cette scène de destruction que les personnes présentes, après avoir repris quelque sang-froid, donnèrent au blessé les premiers soins possibles dans un petit hameau où faisaient défaut presque toutes les choses nécessaires à cet effet, et surtout un médecin; M. l'adjoint Emery s'empressa de fournir tous les linges dont on avait besoin ; chaque membre de la victime fut enveloppé dans ces linges, ensuite il fut cousu dans un drap et transporté à l'Hôpital cantonal sur un char suspendu.

Le soir même il eut à subir l'amputation des deux bras, et hier matin vers 9 heures, il a été délivré par la mort de ses affreuses souffrances, en présence de sa famille accourue auprès de lui, et qu'il a recommandée aux assistants. Ce malheureux ouvrier, âgé d'environ 40 ans, se nommait Henri Sorey ; il était Genevois, originaire de Versoix, et il laisse une veuve avec trois enfants, de huit à quinze ans, si nous ne nous trompons.

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