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DRAPEAU SOVIETIQUE SOLDINI

Journal de Genève du 26 juin 1934

Le drapeau des Soviets à Versoix     

M. Soldini, chancelier d'Etat, s'est fait construire, à Versoix, une villa. L'architecte en est évidemment M. Braillard. Or, vendredi, on terminait la charpente et, comme de coutume, entrepreneurs et ouvriers célébrèrent cet heureux événement en plantant sur le toit un sapin enrubanné.

Photo de la villa Soldini, qui crée la polémique. Archives Journal de Genève

La villa avant sa démolition au mois de septembre 2019. Photo Georges Savary

Tout cela n'a rien que de très naturel, mais où l'histoire se corse, c'est que quelques ouvriers, pensant faire plaisir à la fois à M. Soldini et à M. Braillard, perchèrent sur le sapin un drapeau soviétique : faucille et marteau sur fond rouge. On ne dit pas ce qu'a pensé notre chancelier d'Etat de cet incident mais la population de Versoix en a manifesté quelque émotion. * On nous informe que le drapeau, qui flottait encore samedi matin, a été enlevé par des patriotes. Ce drapeau, qui mesure 75 centimètres de côté, porte l'emblème soviétique nettement dessiné et se détachant par conséquent fort bien, même à distance.

Au Grand Conseil:

Le drapeau rouge et l'ordre public. M. Adrien Lachenal (r) constate que la villa du chancelier Soldini a été décorée du drapeau soviétique. Or le premier fonctionnaire de l'Etat, dit-il, devrait s'abstenir d'une manifestation qui est une provocation. Ce drapeau a flotté hier toute la jouirée au vu de tous les habitants de Versoix. M. Soldini aurait dû faire enlever cet emblème. M. Nicole s'est proclamé le champion de notre démocratie contre l'étranger. Qu'il s'occupe un peu plus de ce qui se passe chez nous et un peu moins de ce qui se passe à l'étranger, (Appl.). A Genève, nous voulons la paix! Cette paix, M. Nicole, vous êtes incapable de la protéger. (Appl.). Or nous passons d'un chambard à un autre chambard et M. Nicole tolère que l'ordre soit troublé. Et nous constations que jamais l'ordre n'a été aussi troublé que depuis que M. Nicole est ici. Ce n'est pas par hasard que journellement il y a des troubles; je vous demande, M. Nicole, de faire respecter la paix publique. Bien avant vous la démocratie était respectée en Suisse, parce que tous les gouvernements qui vous ont précédé ont eu à cœur de tenir la balance égale entre tous les citoyens. Je ne crois pas à vos arguments, M. Nicole. Si vous voulez passer pour un homme énergique, soyez-le vraiment. Nous n'avons jamais admis d'être bousculés physiquement ou moralement. Vous parlez de provocations. Si des patriotes avaient envahi la villa Soldini, qu'auriez-vous dit ? Vous n'êtes pas communiste ? Il y a cependant provocation à étaler le communisme sur le toit d'un fonctionnaire. S'il existe des embryons verbaux de fascisme à Genève — ce qui vous permet de prendre des attitudes de théâtre — ce sont des manifestations enfantines. Et jamais avant vous des manifestations de ce genre ne se sont produites. Il faut donc constater que c'est votre attitude qui les provoque. (Appl.) C'est aussi votre attitude qui crée la méfiance et qui cause un préjudice considérable à notre économie nationale. Ce n'est pas en brandissant le spectre de l'hitlérisme qu'on rendra à Genève sa prospérité. (Vociférations soc.; appl.)

M. le conseiller d'Etat Braillard: II s'agit d'une simple plaisanterie. On a achevé les travaux de la villa Soldini et on a mis un bout de papier rouge sur lequel on a dessiné un marteau et une faucille, c'est tout.

M. Nicole, président du Conseil d'Etat: Pour un chiffon de papier de 25 centimètres, M. Lachenal fait tout un drame. M. Lachenal en a profité pour faire le procès du gouvernement; c'est son habitude, mais il ferait mieux de s'occuper des affaires de l'Etat telles que ses amis nous les ont laissées. (Protestations; appl. soc.) Au point de vue de l'intérêt que nous portons aux affaires du canton, je peux me placer en face de M. Lachenal avec un certain avantage. (Appl. soc.) Quand on appartient à un parti qui a laissé le canton dans la situation où il est, on ne devrait pas attaquer ceux qui ne pensent qu'à l'intérêt du canton et y consacrent tout leur temps. (A ce moment, à la tribune, deux jeunes gens échangent des claques et sont immédiatement expulsés.) On proteste, continue M. Nicole, parce que des chauffeurs de taxis payés d'une façon scandaleuse se sont livrés à une petite manifestation et on ne s'inquiète pas du sort de ces chauffeurs. M. Lachenal leur fait là un coup tordu. (Appl. soc.) L'ordre public n'est qu'un prétexte à son intervention. Nous voulons faire respecter l'ordre, mais pas à votre façon, qui est d'avoir recours aux mitrailleuses. (Tapage; appl. soc.)

M. Lachenal : M. Nicole a dépassé aujourd'hui toutes les bornes dans l'art de faire dévier les questions. Quant à M. Braillard, qui nous a décrit le drapeau, il a dû le voir. Il ne s'agit pas d'une plaisanterie. On voit ce drapeau très nettement de la route. M. Braillard aurait dû faire enlever ce drapeau, c'était son devoir de magistrat. (Appl.) Quel que soit le passé du parti radical chacun a pu commettre des erreurs, c'est évident; mais ça n'est pas la question. Les Genevois veulent pouvoir circuler en paix dans la rue sans être molestés. Voilà, M. Nicole, ce que vous devez vous dire une fois pour toutes ! (Appl.) Or, M. Nicole vous pensez que, parce qu'on a raison sur une question de salaires, on a le droit de troubler une noce paisible. L'ordre public exige, au contraire, qu'on puisse célébrer un mariage sans trouble. (Appl.) D'autre part, il serait intéressant de savoir quand le Conseil d'Etat entend faire cesser la « plaisanterie » du drapeau soviétique. Enfin, nous retenons des propos de M. Nicole qu'à l'avenir ceux qui ont quelque chose à réclamer devront se faire rendre justice eux-mêmes ! (Appl.)

M. Nicole, parlant de la manifestation des maraîchers, déclare que le Conseil d'Etat unanime a demandé au Conseil fédéral de prendre des mesures pour remédier à cette situation. M. Nicole parle ensuite de l'entrée de la Russie dans la S. d. N. et remarque qu'à ce moment le drapeau soviétique aura sa place à Genève. Il n'y a pas lieu, conclut le président du Conseil d'Etat, de dramatiser cette affaire.  

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