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LA BRASSERIE DE VERSOIX

La maison de maître connue sous le nom d’Ancienne-Préfecture est édifiée en 1781 pour l’enseigne aux Gardes suisses en France, Michel Micheli de Châteauvieux. Sa façade épousant le tracé cintré du rondeau de la place Jean-Georges-Mussard découle du plan de Versoix-la-Ville, ce qui en fait un objet unique.

Un encart publié dans le Journal de Genève du 24 juillet 1833, annonce la vente prochaine du domaine:

Le lundi 16 septembre prochain, à dix heures avant midi on vendra volontairement et à l'enchère, la campagne anciennement Micheli De Chateauvieux, située à Versoix. Elle consiste eu une vaste et bonne maison de maîtres, portant n° 159, ayant grand et petit salons, salle à manger et plusieurs chambres à coucher. Une maison de dépendances séparée, écurie, remise, hangard , bûcher, poulailler et pigeonnier; un enclos de deux poses et demi en jardin , gazons, promenade ombragée, et beaux arbres fruitiers; deux fontaines qui ne tarissent jamais. Un pré-verger attenant, de deux poses et demie, bon terrain. La vente aura lieu chez M. Des Arts, notaire à la Cité, n° 2 1 5, où sont déposées les conditions. La propriété est visible dès à présent.Le lundi 16 septembre prochain, à dix heures avant midi on vendra volontairement et à l'enchère, la campagne anciennement Micheli De Chateauvieux, située à Versoix. Elle consiste eu une vaste et bonne maison de maîtres, portant n° 159, ayant grand et petit salons, salle à manger et plusieurs chambres à coucher. Une maison de dépendances séparée, écurie, remise, hangard , bûcher, poulailler et pigeonnier; un enclos de deux poses et demi en jardin , gazons, promenade ombragée, et beaux arbres fruitiers; deux fontaines qui ne tarissent jamais. Un pré-verger attenant, de deux poses et demie, bon terrain. La vente aura lieu chez M. Des Arts, notaire à la Cité, n° 2 1 5, où sont déposées les conditions. La propriété est visible dès à présent.

Au milieu du XIXe siècle, elle est la propriété de la famille Bely qui installe une brasserie dans la dépendance. Une demande d'autorisation de construire est délivrée en 1851, pour une forge et une toiture empiétant légèrement sur la voie publique. L'année suivante, une nouvelle demande est formulée par Bély pour une grange, une porcherie et un poulailler au chemin de Sauvernier et pour percer une fenêtre au rez de sa maison, route de Suisse. L'autorisation est accordée sous conditions.  

  

L'ancienne préfecture et la forge, avant 1910. (photomontage G. Savary)

En 1858, on cite H. Ducommun, brasseur à Versoix, ce dernier loua la brasserie. La bière était fabriquée seulement en hiver. Pour la garder jusqu'à l'été, elle était conservée dans une immense cave s'étendant sous le terrain entre route et lac, vis-à-vis de l'église catholique.

Cave de la brasserie, en pointillé. Selon plan cadastral

Cette cave, très profonde, était prise entre deux glacières, l'une du côté route et l'autre du côté lac. En hiver, on engageait la main-d'oeuvre des environs et on allait à la Gouille-à-Marion, près de Mies, couper la glace en morceaux de forme carrée; on la chargeait sur des chars, on arrivait à Versoix et on faisait passer chaque morceau dans une sorte d'entonnoir, carré lui aussi, qui s'ouvrait au niveau du sol, au-dessus de chaque glacière. Un homme à l'intérieur, détaillait les morceaux et étendait cette glace sur le sol en couches aussi planes que possible. Dans ce temps là, "les hivers se faisaient", mais parfois, quoique rarement, la glace manquait. On la remplaçait par de la neige, qu'on entrait par les mêmes ouvertures et on lui additionnait du gros sel qui la faisait fondre en partie. Le froid était très intense dans le sous-sol, cette manutention suffisait à garantir la qualité de la bière. La cave proprement dite, contenait une cinquantaine ou d'avantage de bosses de quatre mille litres chacune et on transvasait la bière dans de petits tonneaux pour la livrer aux cafetiers de Versoix et des environs (un de ces tonneaux a été retrouvé au café du Lion d'or, dans les années 1980). Il y avait un monte-charges.

En 1861, l'Etat fait cession d'un terrain à la commune qui consiste en un talus en face de l'église catholique qui permettra à Ducommun de créer une ouverture pour sa cave. voir ci-dessous:

 

Lors des travaux sur la route de Suisse au printemps 2020, l'entrée de la cave a été dégagée temporairement (au centre de l'image). Photo G. Savary

 

Ducommun fit de mauvaises affaires et disparut sur le lac. Les frères Bardili louèrent après lui. La boisson qu’ils fabriquaient était réputée, leur bière de conserve « Lager bier » était servie par le célèbre F. Landolt dans sa Brasserie de la Nouvelle Poste à Genève. Les brasseurs étaient aussi à même de fournir de la bière aigre aux fabricants de vinaigre pour leur fabrication. 

Un dramatique accident, survenu 5 novembre 1867, nous apprend que lors de travaux de terrassement, des ouvriers étaient occupés à monter de la terre à l'aide d'une chèvre placée au-dessus de la cave de MM. Bardili. L'engin vint à tomber au moment où M. Jean-Marie Griot, âgé de 50 ans, examinait le travail des ouvriers. Le malheureux fut mortellement atteint à la tête en présence de son fils. Pauvre ouvrier cordonnier, il était parvenu à acquérir, par son travail et sa persévérance, un modeste asile pour lui et sa famille. Au moment où il commençait à jouir du fruit de son labeur, la mort est venue le frapper. Le décès de cet honnête homme a causé la plus douloureuse impression chez tous les habitants de Versoix.

Un avis publié dans le Journal de Genève du 3 juin 1868 nous apprend que : « MM. Bardili, brasseurs à Versoix, pour prévenir toute erreur, avisent le public que l'établissement tenu à Versoix, sous l'enseigne Hôtel de la Brasserie, est entièrement distinct de leur brasserie à eux, MM. Bardili, et qu'ils ne fournissent même pas de bière à cet établissement. » Un autre avis répond en ces termes : « M. Dégallier, tenant l’hôtel de la Brasserie à Versoix, prévient le public qu’il vend à présent de la bière de Corsier, laquelle sa clientèle trouve bien supérieure à la bière des MM. Bardili de Versoix. » (Nous n'avons rien trouvé dans les Archives de l'Etat, concernant cet hôtel.)

La brasserie a été mise en vente le 30 septembre 1873, à 10 heures du matin, en l'étude et par le ministère de Me Piguet, notaire à Genève. Il a été procédé à la vente, aux enchères publiques "du bel établissement connu sous le nom de Brasserie de Versoix, appartenant à MM. Bardili frères. Cet établissement consiste en un terrain dans une situation magnifique, au bord du lac, caves voûtées, glacière avec escalier en granit, hangars, laboratoire, pavillons, vases de caves, matériel immense d'exploitation. Mise à prix de l'ensemble : 90'000 frs."

             

Avis dans le Journal de Genève, www.letempsarchives.ch

Quant à l’hôtel de la Brasserie, il fut mis en vente aux enchères publiques après faillite, le 31 août 1876. La vente se déroulait à Versoix-la-Ville, dans le local de la Brasserie, route de Lausanne (route de Suisse). Il fut procédé  "(…) à la vente aux enchères publiques et au comptant de l’établissement de maître d'hôtel et cafetier, dit à la Brasserie, comprenant : grand fourneau potager et ses accessoires, ustensiles de cuisine d'hôtel, verrerie, vaisselle, mobilier de deux chambres à boire, de salle à manger, ainsi que de huit chambres avec lits, tables de nuit, chaises ; etc. ; chaises, bancs, tables en fer pour jardin. Tonneaux, vins ordinaires, blancs et rouges et vins fins, pontets et mobilier de cave. Une certaine quantité de liqueurs et de bouteilles vides. Le bloc, avec droit au bail, sera mis en vente sur la mise à prix de deux mille francs (…) ".

La brasserie fut ensuite louée par Mundinger, un jeune Wurtenbergeois qui y était entré comme garçon brasseur et qui avait épousé une fille Bely. Elle fut ensuite achetée aux Bély par Paccard. Après que Mundinger eut fini son bail, l'ingénieur Pouille acheta le bâtiment, après qu'on ait vendu le matériel aux brasseries de Grange-Canal, de Corsier et de St Jean, en 1888.

Au temps ou la brasserie était en activité, le café, tenu par Riniger, avait une certaine renommée, de sorte que l'établissement ne désemplissait pas les jours de beau temps. Il y avait un bon service de petits bateaux à vapeur et les citadins aimaient aller à Versoix pour y jouer aux boules, aux quilles et pour y boire une chope de bière. La jeunesse de Versoix dansait en hiver dans la salle du premier étage avec le balcon donnant sur la route et, pendant les beaux jours, dans une belle cour ombragée, derrière la maison.

Cette propriété fut achetée par la congrégation des Soeurs de la Croix en 1910 pour y créer un pensionnat. La commune de Versoix en devient propriétaire en 1980, la maison conserve depuis sa vocation pédagogique. G. S.

Le pensionnat Bon-Séjour et son agrandissement datant de 1910, vers 1940

 

letempsarchives.ch

La Vieille Maison, à Versoix. Tilla Bordier 1920

 

 

 

 

 

 



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