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Le vieux bourg

La transformation de la Maison du Charron et des bâtiments de la rue des Moulins et rue des Boucheries, au milieu des années 1980, a transformé ce quartier du bourg de Versoix.

Revenons un siècle en arrière.

La Maison du Charron était alors la propriété de Jakob Ramseyer, comme nous l’avons raconté dans un article qui lui est consacré. L’immeuble abritant l’Espace patrimoine était quant à lui la propriété de la famille Portay.

Constant Portay, était né en 1861 à Féternes, en Haute Savoie, il épousait en 1888, Henriette Francey, née à Paris en 1862. Ils eurent quatre enfants : Marc (1889) qui avait une maroquinerie à Paris ; Marie (1892) épousa Rémy Giacomini, ils ouvrirent une fabrique de meubles à Naples ; Pauline (1899) mariée à Constant Malherbe, menuisier-charpentier et Joséphine (1904) qui épousa Pau Via, menuisier-charpentier également.

C’est aux alentours de 1895 que Constant et Henriette quittèrent Genthod et firent l’acquisition de la maison au 1, rue des Dissidents, à Versoix. Henriette installa sa blanchisserie au rez-de-chaussée. Ses employées allaient laver le linge aux bassins du lavoir communal, de l’autre côté de la route de Suisse, près du pont sur la Versoix. Ce travail n’était pas de tout repos, car en hiver, quand elles revenaient à la blanchisserie, elles devaient casser la couche de glace accumulée sur leur tablier.

Henriette transmit sa blanchisserie à sa fille Pauline. Quand celle-ci se maria avec Constant Malherbe, elle lui céda sa place pour qu’il puisse ouvrir sa menuiserie, et ces dames repasseuses déménagèrent au deuxième étage.  Les filles donnèrent naissance à leurs enfants dans cette maison qui devenait un peu trop petite pour tout ce monde et en 1934, Paul Via et Pauline construiront leur maison à la route des Fayards.

Constant Portay travaillait à la papeterie Bristlen et passait son temps libre à cultiver son potager qui se trouvait derrière l’immeuble de la « Caserne » au chemin César-Courvoisier. En 1936, il sera engagé comme gardien des Bains publics de Versoix, lui qui pourtant…ne savait pas nager !

Jusqu’au début des années 1960, Constant Malherbe, devenu veuf, louait les appartements au personnel de l’hôtel Beau-Rivage. Par les beaux après-midis d’été, on le voyait assis sur un tabouret devant sa porte, profiter de la chaleur du soleil.

Si les machines de la menuiserie Malherbe ne faisaient plus de bruit, les artisans faisaient vivre le quartier. Le chantier naval Vouga raisonnait des bruits de rabots et de scies. Dans la cour, Muller le fabricant de meubles rustiques réalisait des tables et des chaises massives qui allaient embellir les carnotzets.

Parfois, appuyé sur sa canne, passait le père Piquand, ancien cocher, qui rejoignait ses amis Nebbia et Terrier sur le premier banc du quai. C’est là que se refaisait l’histoire du village.

Le bourg était vraiment très animé. Quand Mademoiselle Delessert partait, avec son Vélosolex, apporter les colis de la Maison Jung à la Poste, elle saluait le père Ruffin qui réparait les filets de pêche devant la maison Vormus. Dans la rue des Boucheries, Bolomey le cordonnier-radeleur, jouait de son accordéon entre deux réparations, répétant inlassablement le même morceau.

Il y avait dans ce bout de ruelle un air d’Italie, les familles d’ouvriers venues de la péninsule logeaient dans des appartements sans confort et sans lumière, d’un autre temps. Les papetiers Pillinini, le mécanicien de précision Cabrini, le carrossier Maggi avaient trouvé là un logement temporaire, espérant pouvoir accéder un jour aux immeubles nouvellement construits sur la commune. Les enfants criaient, chahutaient, jouaient au foot et, parfois, un carreau du chantier naval partait en éclat. L’apparition de Madame Vouga remettait tout de suite le calme et chacun partait se cacher dans un coin. Les plus malins entraient alors dans le laboratoire de la boulangerie Marcuard où le pâtissier compréhensif les occupait à enrober des biscuits de chocolat, merveilleux alibi pour les garnements.

Sur la place L.-A. Brun le garagiste Burnat s’affairait sur les modèles Renault dont il avait la concession. Dans la rue voisine, c’était la marque Panhard, cette voiture toute en rondeur qui étaient la préférée du quartier. Deux modèles étaient garés au bout de la rue. Tous les samedis, capots levés, roues déposées, les propriétaires faisaient le service de leurs bijoux. Signe de leur réussite, il fallait les faire briller avant de monter à la Faucille pour la promenade familiale du dimanche.  

A l'autre bout de la rue, le forgeron Moret  façonnait les fers des chevaux qu'il allait ferrer, une odeur de corne brûlée planait dans le quartier. A la ruelle de l'abattoir on s'affairait autour d'une vache qui vivait ses derniers instants, quelques meuglements et puis le silence. Les bouchers de chez Gerber avaient du travail à débiter ce qui n'était plus qu'une carcasse. Leurs occupations terminées, les artisans se retrouvaient dans les bistros de la rue pour une partie de carte.

Le XXIe siècle est arrivé avec ses changements, transformations des maisons, nouvelles affectations, nouveaux habitants, et la vie reprend après quelques années de déclin mais les murs des maisons gardent en elles beaucoup de souvenirs de cette vie passée dans le Bourg de Versoix.

 

Georges Savary, décembre 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

La famille Portay
Constant Portay devant la chaudière de la papeterie
Pauline et Constant Malherbe
Rue des Dissidents 1


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