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SOUVENIRS D'ENFANCE A LA BÂTIE

et quelques dates concernant Marie, Fanny et Henri GRAND,

par Fanny Grand 1868-1961

Nées toutes les deux à La Bâtie sur Versoix, Marie et Fanny Grand suivent au début de leur vie la même route. Seulement Marie l’avait commencée plus tôt le 30 juin 1867. Fanny la rejoignit le 15 novembre 1868. Elles ont d’ailleurs avec Henri, né le 8 décembre 1869, leurs tous premiers souvenirs de Genève, où la petite famille vécut de 1871 à 1877, chemin des Savoises.

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Marie, Fanny et Henri Grand

Samuel Grand naquit le 22 décembre 1838. Il n’avait pas encore 8 ans à la mort de sa mère ; son petit frère et compagnon de jeu, Benjamin n’en avait que 4. Il en avait 10 lorsque son père se remaria. Nous savons peu de chose de son enfance. Ses frères et sœurs, sa belle-mère aussi, lui ont gardé la plus vive affection. Je n’ai jamais entendu personne relever la moindre chose à son désavantage. Seul son père, dans une lettre écrite la dernière année de sa vie, se plaint de ce qu’il écrit trop peu souvent. Il fréquenta le Collège de Vevey, se lia d’amitié avec Samuel Mach et c’est avec lui qu’il alla, à l’âge de 15 ans à Heilbronn où il apprit l’allemand. C’est son père qui y conduisit les deux jeunes enfants.

Il fit un apprentissage d’horloger à Sainte-Croix chez un « Fritz Piguet » où, plus tard, il fit faire la montre en or qu’il offrit à sa fiancée. Cette profession ne répondant probablement pas à ses goûts, il alla à la Bâtie s/Versoix comme commis de bureau de M. François Guex, directeur d’une fabrique de papier. Celui-ci recevait parfois la visite d’une nièce de La Chaux, Marie Guex. Inutile de dire qu’elle plut au jeune Samuel. A qui n’aurait-elle pas plu ! Le 25 mars 1866, ils se fiancèrent et le 25 septembre de la même année, ils se marièrent à Morges.

Le bâtiment de la société des Papeteries réunies et la maison Roess, vers 1890 - APV

Ils firent un tour de noce magnifique pour l’époque : Chamonix, la Mer de glace, le Mauvais pas. Notre mère nous en a souvent parlé : deux dessins en couleur nous le rappellent. C’est sur la Mer de glace que maman perdit une boucle d’oreille en corail rose que son fiancé lui avait offerte ; elle n’osa jamais le lui dire. C’était un fiancé très tendre, comme il fut ensuite le meilleur des maris. Rien n’était assez beau ni assez bon pour sa chère Marie. Ses ressources devaient être fort modestes mais il lui offrit des cadeaux qu’aujourd’hui encore on peut trouver fort beaux : des broches et boutons de manchettes, une autre qu’elle a portée toutes les dernières années de sa vie. Son châle de noce, un châle tapis qu’elle ne porta que quelques fois car la mode en passa, etc., etc…

Pendant les années qui ont précédé son mariage, notre père doit avoir beaucoup lu et étudié. Toute une caisse de livre et qui dataient d’alors, en font foi. Et plus tard, il garda toujours un intérêt très vif pour les choses de l’esprit. Nous avions le sentiment qu’il était renseigné sur tout et qu’il aurait répondu à tout. « On demandera à papa » disions-nous quand nous étions embarrassés. Il avait une intelligence bien supérieure à son modeste travail mais je ne l’ai jamais entendu regretter de n’avoir « pas fait mieux ».

Je l’ai toujours vu mettre ses connaissances, son jugement, son bon sens et son grand cœur au service des autres. Il était à la fois gai, doux, ferme, intelligent et bon. Je n’ai pour ma part jamais rencontré un homme qui m’ait paru aussi parfaitement bon et bien équilibré sous tous les rapports.

Mais nous en sommes en 1866 seulement. Le jeune couple habita d’abord près de « chez les Roess » une modeste maison où nous sommes nés tous les trois, Marie dans une rose rouge, naturellement, Fanny dans un vulgaire chou. Je l’ai toujours un peu jalousée de sa poétique origine, de son joli nom et de sa gentille figure.

C’est pendant que nous habitions cette maison, que, dans mon ardeur à montrer à maman des mains bien savonnées pour le retour de papa, qu’on attendait de Genève, je tombai dans une seille d’eau chaude préparée pour un récurage et me brûlai grièvement la jambe gauche. Je passai bien des semaines au lit et ma jambe porte encore les marques du bas de laine à côtes que je portais ce jour-là.

Les affaires de la papeterie marchaient mal ; la petite famille se transporta en 1871 à Genève, dans le quartier de Plainpalais. Ce furent des années assez dures. Mon père s’était associé avec un lithographe nommé Duc, qui fit de mauvaises affaires.

Ma mère ne fut tranquille que lorsque mon père fut parvenu à se délier de cette association dangereuse. En attendant, elle fit des prodiges d’économie pour que la petite barque ne risquât pas de sombrer. Elle décousait le petit velours qui ornait son jupon pour garnir nos chapeaux de fillette ; je ne me rappelle pas d’ailleurs que, jusqu’à l’âge de 9 ou 10 ans, nous ayons porté d’autres chapeaux que ceux que nous garnissait ma mère, et combien simples !

 

Lettre adressée à la clientèle lors de l’association Duc & Grand.

Marie entra à l’Ecole enfantine. Henri donnait des terreurs à sa mère en grimpant sur le fourneau ou en se sauvant à peine âgé de 2 ans à travers Plainpalais. Fanny n’a pas souvenance d’autre prouesse que d’avoir fait tomber la Pouponne dans un baquet d’eau en voulant descendre son berceau et d’avoir été punie ensuite.

Vers 1872 je pense, nous retournâmes à La Bâtie mais cette fois dans la grande maison couverte de vigne-vierge

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« La grande maison couverte de vigne-vierge… »

La Bâtie vers 1890. A gauche la papeterie, au centre la maison couverte de vigne-vierge. APV

que nous ne quittâmes qu’en 1878 et où nous avons nos souvenirs d’enfance. L’oncle François Guex n’était plus là ; notre père était directeur de la fabrique de papier. Pendant quelques années tout marcha bien.

Nous allâmes à l’école de Collex où nous apprîmes à lire et à écrire et quelques autres choses sous la direction bienveillante de Mme Veuve Byse. Nous dînions à l’école du contenu de notre petit panier (il s’y trouvait même une « picholette » ou Fanny allait boire un coup quand elle trouvait les heures trop longues pour ses 4 ans) et plus tard, chez l’épicier Crausaz. L’ambiance était toute catholique à Collex. Est-ce pour cela qu’on nous envoya ensuite (1875) à l’école protestante de Versoix et en pension, du lundi au samedi, à la Maisonnette, orphelinat dirigé par des diaconesses de Saint-Loup ?

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La Maisonnette, place Mussard. Photo G. Savary

 

Mais qu’en Henri fut d’âge à aller à l’école, lui aussi, nous fîmes avec lui le trajet chaque jour de La Bâtie à Versoix. Nous dînions à la Maisonnette et lui chez notre instituteur, M. Rochat.

Une petite sœur, Elise, nous était née et nous avait été reprise au bout de 9 mois par la cholérine. Le souvenir de cette petite Elise est resté vivant parmi nous et surtout dans le cœur de sa mère. Une autre petite sœur, Louise ne vécut que quelques heures. Toutes deux reposent au cimetière de Genthod. C’est là que nous accompagnions souvent notre père à l’église.

Les affaires de la société des Papeteries n’étaient à nouveau pas brillantes. La fabrique de La Bâtie fut fermée le 9 juin 1877. Notre père alla travailler, dès le mois d’août, à celle de Bex et ne venait nous voir que de temps en temps. Déjà alors, il avait parfois des accès d’une fièvre intermittente qui intriguait les docteurs car elle est spéciale aux pays chaux (paludisme ?).

Au printemps 1878 (nous avions 8,9 et 10 ans), il accepta à Yverdon, une place de comptable chez M. Marc Constançon, banquier et marchand de vins et nous allâmes tous habiter à la Plaine, n° 42, une petite maison bien modeste, 3 chambres et une cuisine, plus une mansarde pour Henri mais où nous avons passé des jours heureux. Bonheur paisible dû à notre bonne santé et à nos bons parents mais jeunesse austère si on la compare à celle des enfants d’aujourd’hui.

Nos vifs remerciements à la famille Grand.

G. Savary,  janvier 2024

 



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