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Situation critique

Voici une histoire authentique qui donna quelques sueurs froides à un habitant de Versoix.

« C’était en 1870, M. X…, un bon vieillard de nationalité française, résidant à Versoix, effrayé des dépêches officielles allemandes (genre Wolff*) affichées en Suisse, annonçant chaque jour des victoires au profit des Prussiens et les échecs des troupes françaises, se décida un jour de venir trouver un parent habitant Gex, où il exerçait les fonctions d’Entreposeur des tabacs, pour lui demander des nouvelles sur la situation exacte de nos armées.

Après un excellent déjeuner, auquel il fit largement honneur, M. X… très rassuré par les renseignements que venait de lui fournir son parent, se disposait à rentrer à Versoix, lorsqu’il fut attiré par le communiqué qui venait d’être affiché à la porte de la Mairie. Une grande bataille venait d’être livrée et les résultats furent heureusement favorables aux français.

M. X… se mit en devoir de copier cette dépêche de façon à pouvoir renseigner ses compatriotes habitant Versoix et réfuter, au besoin, les nouveaux contraires qui avaient dû être affichées en Suisse.

En 1870, comme en 1914, on voyait des espions partout, même où il n’y en avait pas ; un bon vieux de l’endroit qui passait à ce moment-là, remarqua cet étranger au pays, relevant la dépêche, et s’empressa d’aller prévenir le commissaire de police qui sirotait tranquillement sa « picholette » au café du coin.

Notre commissaire prit son chapeau et arriva près du bonhomme : « Au nom de la loi, je vous arrête ! » Le pauvre vieux qui ne savait plus si c’était du lard ou du cochon, fût immédiatement conduit devant la Garde civile qui était assurée par la Compagnie des Sapeurs-Pompiers.

La nouvelle qu’un espion venait d’être arrêté, fut répandue du Bourg-d’en-haut au Bourg-d’en-bas, et une foule se massait déjà sur la place de « l’Appétit » où notre soi-disant espion essayait de comprendre à nos braves pompiers le but de sa visite.

Peine perdue, la Garde civile telle la Cour martiale, se demandait à quelle sauce elle allait accommoder notre individu. Un plot fut requis à la maison voisine et, on entendit le sergent des pompiers demander à ses hommes : Allain té qu’on en fà ? té qu’on vu lou feselli, té qu’on lou pend, té qu’on li coupe la tétâ, té qu’on en vu fare ?

Un mauvais parti allait sûrement être fait à l’habitant des bords du lac si un spectateur, l’ayant vu arriver le matin chez son parent, n’était allé prévenir ce dernier qui vint en toute hâte, prouver l’identité de « l’espion » et le délivrer de la mauvaise passe dans lequel il se trouvait.

Le père « Fanfoë » m’assure qu’on ne le revit plus jamais dans le pays de Gex. »

La Feuille d’avis de Coppet du 7 décembre 1917 

*  Le Bureau télégraphique Wolff (en allemand : Wolffs Telegraphisches Bureau ou W.T.B.), parfois appelé Agence de presse Continentale ou Compagnie télégraphique continentale Wimmel et Wenzel, est une agence de presse allemande qui faisait partie des quatre grandes agences de presse mondiales et généralistes au XIXe siècle et au début du siècle suivant, avant de disparaître. Elle a été fondée à Berlin en 1849 par Bernhard Wolff (1811–1879), un journaliste allemand revenu au pays, qui avait travaillé peu avant en France après avoir fui l'Allemagne juste après la Révolution de 1848.



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