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CHARBONNIER Jeanne (1895-1992)

Jeanne Charbonnier est née le 27 mai 1895 à Nyon. Son père Jean Grenier, d’origine française, était jardinier. Sa mère, Anna-Maria Kaufmann, était Bernoise, de langue maternelle suisse alémanique. Jeanne avait une sœur, Franceline, de neuf ans plus âgée qu’elle.
En 1900, la famille déménage de Nyon à Versoix. Jean Grenier travaille comme jardinier dans la propriété Bristlen (Papeterie de Versoix) et sa femme comme cuisinière et laveuse dans des maisons bourgeoises.
Jeanne entre en 1901 dans l’école catholique privée, dite la « Pouponnière », dirigée par M. le curé Battiaz et une institutrice. Cette école était installée à côté de l’église provisoire en bois de la Paroisse catholique romaine au chemin Vandelle.
En 1906, Jean Grenier meurt de la tuberculose, la maladie du siècle, et sa femme reste seule pour nourrir la petite famille.
Deux ans plus tard, Jeanne et sa sœur, l’une après l’autre, tombent gravement malade du typhus ; elles sont soignées d’abord à la maison, puis à l’hôpital cantonal de Genève.
Après sa guérison, Jeanne abandonne l’idée de suivre un enseignement secondaire et s’engage en 1909 comme ouvrière à la chocolaterie de Favarger pour « plier » (emballer) le chocolat. Deux ans plus tard, elle quitte la chocolaterie et entre dans la fabrique de pierres fines de Giroud près de la gare aux marchandises de Versoix. Dans cette entreprise, l’on taille et polit des rubis et des grenats pour l’horlogerie.
Jeanne fait la connaissance de Pierre Charbonnier, de six ans son aîné. Il est chocolatier chez Favarger depuis 1909, où il deviendra plus tard contremaître. Le jeune couple se marie en 1914, une semaine avant l’éclatement de la première guerre mondiale. Pierre n’est pas mobilisé en raison d’un petit handicap physique. La fabrique de pierres fines ayant fermé ses portes, Jeanne retourne travailler à la chocolaterie.
En 1924 naît le seul enfant du couple, Pierrette, qui deviendra plus tard Mme Mock. Elle a trois enfants et habite toujours Versoix.
Dès lors qu’elle élevait sa fille, Jeanne Charbonnier n’a plus exercé une profession régulière. Par contre, elle aide de temps en temps dans les familles pour une garde de nuit auprès d’un malade, voire pour soigner un malade. On apprécie son doigté et sa douce parole. Elle est aussi sollicitée, comme dame de compagnie auprès des personnes âgées ou infirmes, à domicile et en vacances.
En 1935 meurt la mère de Jeanne Charbonnier.
Les premiers essais poétiques de Jeanne Charbonnier ne datent que du début des années cinquante, alors qu’elle approche déjà de ses soixante ans. A cette époque, elle soigne une malade, Mme Comte, et elle lui tient souvent compagnie. Mme Emma Comte est enseignante de langues et poétesse dans ses loisirs. Elle publie sous le pseudonyme d’Edith Seymrose un recueil de poésie intitulé « Ondes et reflets », dont la préface fut écrite par Jean Violette. Guidée et corrigée par Mme Comte, Jeanne Charbonnier rédige ses premiers poèmes. Elle commence à lire de nombreux livres de poésie, qu’elle emprunte à la bibliothèque communale. Ses poètes favoris deviennent Alfred de Musset et Alphonse de Lamartine. C’est surtout Lamartine qui l’inspire pour ses propres poésies.
La période qui fut la plus féconde pour l’œuvre de Jeanne Charbonnier est en même temps la plus douloureuse pour elle et son mari. Pierre Charbonnier subit, en 1954, une attaque cérébrale qui le paralyse. Il restera cloué au lit jusqu’à sa mort en 1959.
Après la mort de son mari, le travail poétique de Jeanne Charbonnier se ralentit peu à peu. En 1970, elle doit l’arrêter presque complètement, parce qu’une maladie des yeux lui rend toute lecture impossible.
Extrait de « Journal poétique » 1983 – texte d’Erhard Fischer
 

LA RUE DES MOULINS
1958
Il est un coin dans mon village
Où j’aime encor à revenir,
Car, en ses murs, de mon jeune âge
J’évoque les vieux souvenirs.

Je songe à vous, fillettes blondes,
Compagnes aux regards mutins.
Sur quels chemins du vaste monde
Vous a conduites le destin ?

Je retrouve en ce paysage
Les rêves bleus de mes vingt ans
Et je revois les doux visages
Des disparus que j’aimais tant.

Elle est encore la maisonnette
Avec son escalier de bois
D’où s’envolaient mes chansonnettes
Dans les soirs calmes d’autrefois

Puis dans mon cœur soudain résonnent
Du forgeron le lourd marteau
Et le clapotis monotone
De la roue émergeant de l’eau.

Or, maintenant, elle est muette,
La roue ancienne du moulin
Mais son image désuète
Nous charme encore à son déclin.

Humble quartier de ma jeunesse,
Témoin de mes jeunes amours ;
Je te contemple avec tendresse
Au crépuscule de mes jours.

JOURNAL POETIQUE
Jeanne Charbonnier
Ed. Commune de Versoix 1983

 

 


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