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TUILES, Messagères de l'histoire EXPOSITION 2003

Messages gravés dans la terre cuite.

Une exposition consacrée aux tuiles était présentée par l’association Patrimoine versoisien en 2003, à Versoix.

Des tuiles de toutes origines, ainsi que des briques en terre cuite prêtées par des collectionneurs avaient satisfait la curiosité des visiteurs venus nombreux à cette occasion.

Monsieur Claude Lehmann, architecte, vient d’offrir à l’association sa collection dont des pièces avaient été présentée alors, nous l’en remercions.

Liste et photos en bas de page.

Venues de la nuit des temps, les briques et les tuiles en terre cuite se sont toujours adaptées aux  besoins du logement.
Il y a 3000 ans déjà, ce matériau avait été utilisé pour la construction de la somptueuse Babylone
L’argile cuite, ce matériau cher à l’antiquité n’a rien perdu de son attraction encore actuellement.
Particularité des pièces présentées : il existait une tradition pour les manufacturiers de graver dans l’argile les événements importants survenus dans le monde au moment du façonnage de ces tuiles et briques.

 

Préface de Madame Monique Bory
Historienne des monuments

Aujourd’hui où nous disposons facilement de matériaux nombreux, produits industriellement, à un prix modeste en regard de celui de la main-d’œuvre, nous tendons à oublier les problèmes que rencontraient autrefois les constructeurs.

Approvisionnement, fabrication et mise en œuvre requéraient un métier acquis par de longues années d’expérience, qui se transmettait de génération en génération. Composition de l’argile, conditions atmosphériques, construction des fours et maîtrise de la cuisson jouaient un rôle important dans la qualité du produit.

L’apport des artisans était donc essentiel. Certains d’entre eux ajoutaient à leurs compétences pratiques et techniques, un esprit inventif dont témoignent nombre de bâtiments anciens qui sont parvenus jusqu’à nous; ces derniers illustrent parfois également le milieu dans lequel vivaient ces artisans, leur mentalité ou des événements qui les ont marqués.

C’est le mérite de cette exposition (comme de la précédente consacrée aux lampes Argand) de faire revivre, pour nous, des hommes qui se sont investis dans le patrimoine dont nous avons hérité. Je félicite les initiateurs pour leur entreprise et souhaite qu’elle rencontre, auprès des Versoisiens et au-delà, tout le succès qu’elle mérite.

 

A VERSOIX, LA TUILIERE DE PORT-CHOISEUL
200 ans d’Histoire européenne.

Depuis 1601, le Pays de Gex avec le cours de la Versoix appartenait à la France. C’est pourquoi LL.EE de Berne faisaient surveiller la frontière du Pays de Vaud.
Du temps du Roi Soleil, Berne fait parvenir quelques demandes d’explications relatives à la construction d’une route frontalière sur laquelle des dragons s’exercent au combat en direction de leur Pays de Vaud. L’affaire est réglée au niveau de l’ambassade de Soleure.

En 1767, Etienne François, duc de Choiseul, ministre des Affaires étrangères de Louis XV, conçut l’idée de construire un port à Versoix pour « ruiner » Genève !

Le 28 mai 1768, M. Du Chastel de Rolle, agent secret de Berne alliée de Genève, mandait LL.EE. – « ils ont fait sonder le sol à bise de Versoix et l’on y a trouvé une glaise bleue et le sol très propre à la construction d’un port ».

Le 23 décembre 1770, le duc de Choiseul tombait en disgrâce. Mais en dix ans, malgré de multiples complications diplomatiques et moult désagréments pour les habitants du village de Versoix, une montagne de glaise avait été extraite, et bien que le duc ait fait amener une galère royale (du reste capturée par les Savoyards) le port n’existait toujours pas.
Une tuilière fut construite, mais vu le faible retrait de la matière, les carrons tirés de l’argile bleue extraite pour le port étaient trop friables. Le carron était rebattu (compacté en séchage vert) d’abord à main, au maillet sur billot de chêne et semelle de fond de moule de poirier, puis vers 1850 à la presse excentrique manuelle à balancier et contrepoids, incrustant Versoix au dos des briques et des planelles.
N.B. la terre à tuile provenait de Pont-Céard.

Cette tuilière, achetée vers 1875-76 par  Adrien Nicati (1838-1899), fermier de M. Pierre-Jean Bordier, après que ce dernier eut partagé son domaine en 1875. M. Nicati n'ayant plus assez de travail à la ferme, acheta la tuilerie et l'exploita avec son fils Edouard jusqu'à la fin de son exploitation vers 1895. Les bâtiments ont été démolis en 1901. Les Nicati étaient aussi propriétaires de la tuilerie d'Yvoire qui travaillait principalement pour la Suisse.

DE VERSOIX A VINZEL

Le petit cylindre, encore utilisé à la fermeture de la tuilière de Vinzel, a été acheté à Versoix vers 1875, en même temps que le manège acquis à la liquidation du moulin Henni au Vernay (manège mû par un cheval tournant en rond, les yeux cachés par une cagoule). A l’origine le petit cylindre acquis à Versoix était actionné à la main à l’aide de deux volants munis d’une poignée de manivelle. Ce petit broyeur servait uniquement à l’affinage de la glaise au sortir de la masse de trempage. On ignore de quelle tuilerie il provenait.
Il faut souligner que dans la région de Versoix, cinq tuileries cessent ou transfèrent leur activité ailleurs au 18e/19ème siècle. Burdeyron était potier sur la rive droite de la Versoix, il s’établit ensuite à Ferney-Voltaire où naquit son fils François qui, après avoir exercé son métier à Nyon et Prangins (Changins) reprend la poterie de la tuilière de Vinzel en 1838.

Jean-Marc-Louis Keusen effectua un stage de 2 mois à la tuilerie Nicati de Versoix, en 1884. A la fermeture de cette tuilerie, il rachète la presse à rebattre à excentrique, fonctionnant à la main, par levier et contrepoids, y compris les deux matrices portant VERSOIX en négatif. Une fonderie de Rolle réalisa les matrices VINZEL.
La petite mouleuse et le grand cylindre achetés vers 1895/1898 provenaient aussi de la tuilerie NICATI (dernière à Versoix), avec des filières en fonte pour les tuiles, planelles de cuisine et carrelets, soit briques apparentes. Ces deux dernières étaient repressées.

LA FABRICATION

Jusqu’au tournant du 19e au 20e siècle les méthodes évoluent peu, le mouleur façonne la tuile à la main, à raison de 300 à 500 pièces par jour au maximum. Un changement se dessine déjà après 1850, par la construction des chemins de fer, avec l’apport de la houille puis des machines. Le charbon remplace le bois et ce
nouveau combustible exige l’édification des grandes cheminées se voulant signes du «siècle du progrès ».
On comprend le « Tes machines mangeront ton pain » de la mère à son fils et les sarcasmes des mouleurs à la main quand on sait qu’après préparation de la motte de terre : 6 à 7 hommes s’affairaient autour de cette « mécanique ».
Le patron à la machine à vapeur, un ouvrier à la pelle ronde pour alimenter le grand cylindre, un autre reprenait la terre broyée, pelletée à l’entonnoir rectangulaire de la mouleuse d’où elle tombait directement sur la vis sans fin de 30 cm de diamètre, mais la terre plus « nerveuse » (collante) que celle de Versoix « bourrait » souvent (faisait pont).
La tuile coupée d’une fois à sa longueur sur le « coupeur », avec arc de pointe peu marqué (quasi-droit), devait d’abord être tirée sur un grand foncet pour la découpe du boudin du nez à l’aide d’un gabarit, puis retournée sur le forcet normal pour être portée aux séchoirs.
Amélioration avec le coupeur manuel à tuile « Bonjour de Rolle ». Celui-ci fut encore utilisé en 1929 et 1932 pour des tuiles destinées au château de Cottens à Begnins, en même temps qu d’autres tuiles manuelles de tourelle.

A propos des drains: 

La Tribune de Genève, Volume 14, Numéro 197, 18 août 1892 Edition 04.

M. Courvoisier propriétaire à Vevey a découvert en relevant un drainage une série de tuyaux coniques d'une longueur de 36 cm. d'un diamètre de 10 cm. au gros bout et de 55 cm. au petit bout. L'épaisseur du drain est de 18 mm au gros bout et de 6 mm seulement au petit bout de sorte que le vide est peu variable : il est de 55 mm au gros bout et de 45 mm au petit bout. L'intérieur est vernissé. Près du gros bout se trouve une ouverture en forme de goulot de bouteille à angle droit du drain saillante de 25 mm et présentant un vide conique de 25 mm à l'ouverture. Un des drains porte l'inscription suivante tracée au poinçon : Fait par Jacques Haret potier de (cassure) — Bourgeois de Payerne Canton de Vaud 1834.

Cette date écrit M. Bieler est fort intéressante pour l'histoire de l'industrie agricole car elle montre un essai qu'on pourrait considérer comme une invention personnelle de Jacques Maret. On sait que les Romains utilisaient des briques creuses pour le drainage des jardins mais depuis cette époque il a fallu arriver jusqu'au milieu de notre siècle pour trouver l'usage des véritables drains fabriqués lu machine.

En 1810 les Anglais ont commencé à faire des tuyaux de terre en enroulant de l'argile autour d'un bâton de manière à laisser une fente pour l'introduction de l'eau ou bien on se servait de tuiles courbes soudées sur des tuiles plates formant semelle ; mais c'est seulement vers 1842 qu'on arrive aux tuyaux circulaires. « Sur le continent la première publication que nous connaissions sur le drainage date de 1 846 et c'est notre regretté Jules Naville de Genève qui le fit connaître par un article du Journal d'agriculture pratique. Il y avait bien eu quelques essais précédemment en France mais il est peu probable qu'ils fussent connus de notre Jacques Maret en 1834. 

 

 


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