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FABRIQUE D'EAU MINERALE DE VERSOIX


La fabrication de l’eau minérale est née à Genève. Henri-Albert Gosse etJohann Jacob Schweppe, à qui revient le mérite de l’invention, formèrent une société, mettant en commun, le premier sa qualité de chimiste et de pharmacien, le deuxième, son génie industriel. Ils ne tardèrent pas à s’adjoindre un habile mécanicien, Paul, dans le but de perfectionner leur matériel d’instrument.
C’était vers le commencement de la révolution française. Gosse, élève de l’école de Paris, où il s’était distingué par ses travaux de chimie appliquée aux arts, profitant des découvertes que la science venait de faire et des analyses connues de quelques sources minérales, avait compris la possibilité d’imiter artificiellement ces dernières et d’enrichir ainsi la matière médicale de nouvelles ressources.

Un grand nombre de ces eaux contenaient de l’acide carbonique en suspension ou en solution, seul ou combiné avec diverses substances salines. Aussi les nouveaux associés s’attachèrent-ils tout d’abord aux combinaisons les plus simples ; et ce fut la boisson connue sous le nom d’eau de Seltz qui devint le point de départ de leurs opérations. Ils décomposèrent, à l’aide d’acide sulfurique, des substances contenant du carbonate de chaux, telles que la craie ou le terreau tufeux qu’on vend à Genève sous le nom de greube ; ils dégagèrent le gaz acide carbonique, ils le purifièrent, et, à l’aide d’une forte compression et d’une agitation soutenue, ils le forcèrent à se dissoudre dans l’eau qui contenait quelques principes fixes, analogues à ceux qu’on rencontre dans les eaux naturelles.
Ce résultat, si simple en apparence et si facile à obtenir dans l’enceinte d’un laboratoire, présentait cependant bien des difficultés dans la pratique. Tout était à créer : appareils de condensation imperméables et résistants, pompes aspirantes et foulantes d’une grande puissance et soigneusement construites, vases solides et commodes pour la conservation et le transport des eaux fabriquées. Les tâtonnements furent longs. Voici à quoi les inventeurs s’arrêtent.
Le gaz dégagé dans un appareil en plomb, traversait un réservoir d’eau dans lequel plongeait un gazomètre ou cloche à gaz, et, en traversant cette eau, il se dépouillait des particules d’acide sulfurique que la chaleur produite par le mélange pouvait avoir entraînées. Une pompe soutirait le gaz accumulé dans le réservoir et l’introduisait dans un tonneau en chêne cerclé de fer, où une certaine quantité d‘eau était maintenue à bras dans une agitation au moyen d’un axe central muni de palettes.

La mise en bouteille n’est pas la partie la moins délicate ni la moins dangereuse de l’opération. Elle ne s’exécutait pas sans une perte considérable de gaz, sans d’innombrables bouteilles cassées, sans des chances d’accidents graves causés par les explosions, sans des déchets multipliés dus à l’imperfection des verres et des bouteilles.
L’eau saturée artificiellement d’acide carbonique servit de base à toutes les autres combinaisons qui constituèrent les premières aux minérales factices. Les principales étaient celles qui contenaient de la soude, de la magnésie et du fer. Les unes, contenant du bicarbonate, imitaient les eaux alcalines, telles que l’eau de Vichy ; d’autres, avec le bicarbonate et le sulfate de magnésie remplaçaient les eaux purgatives naturelles, telles que celle de Sedlitz ; enfin celles qui renfermaient du fer en dissolution se rapprochaient des eaux de Spa.
L’élite de la Faculté de médecine de Genève s’efforça de mettre ces eaux en honneur et de leur procurer la vogue. Mais malgré ce puissant appui, malgré les avantages que l’usage de quelques-unes d’entre elles présentait, elles restèrent longtemps l’apanage des malades aisés, car le prix en était trop élevé pour qu’elles pussent devenir populaires. La bouteille d’eau de seltz contenant environ demi pot, soit 6 décilitres, coûtait alors 75 centimes.
Cependant, les événements politiques avaient amené à la dissolution de la Société. Schweppe alla porter cette nouvelle industrie en Angleterre, où il introduisit le soda water et fit fortune. Paul établit cette même fabrication à Paris, et eut pour successeurs Tryaire et Jurine, à Tivoli.

A Genève, Paul et Gosse fondèrent deux établissements rivaux qui, jusqu’en 1820, furent les seuls en activité. Vers 1825 il s’en forma un troisième ; mais dès lors ce genre de boisson a pris tellement faveur, qu’en 1826 il en existait treize dans Genève, une à Carouge et une à Versoix.
Au développement prodigieux qu’a pris cette industrie à Genève, se joint un fait très singulier : c’est que, pendant un intervalle de près d’un quart de siècle, le mode de fabrications y est resté le même qu’à l’époque de sa création, à quelques changements près. Il n’en a point été ainsi en France : depuis quatorze ans on s’est occupé de perfectionner soit le mécanisme de la fabrication, soit les moyens de rendre le service des bouteilles plus facile et plus régulier. Mais ces améliorations ont été introduites dans notre canton seulement en 1856. Ce fut alors que M. Bous-Renevier fonda à Versoix une fabrique suivant le nouveau système. Différents perfectionnements ont été apportés dans la fabrication, mais c’est surtout la mise en bouteille qui a été améliorées, et, au lieu de ces bouchons en liège plus ou moins assujettis, on adapte à de solides carafes un siphon muni d’une soupape ; celle-ci se meut aisément au moyen d’un levier qu’il suffit de presser quand on veut couler de l’eau dans un verre.
Cet établissement, dans lequel on fait de l’eau de soude, de la limonade gazeuse, de la bière mousseuse, etc., peut livrer à la consommation 10 à 12000 bouteilles par jour ; situé près de la Versoix, dont un des bras est utilisé comme moteur, et à portée d’une source très pure, toutes les personnes qui la visitent en admirent la bonne direction, la propreté et l’élégance.
M. L. Gerbel qui s’y était d’abord intéressé, en est devenu ensuite adjudicataire est l’a transférée en l’Ile, à Genève. Elle a été mise en vente en 1886.

Georges Savary

Archives Journal de Genève , letempsarchives.ch

 
 
Johan Jakob Schweppe
Les merveilles de l'industrie ou, Description des principales industries modernes / par Louis Figuier. - Paris : Furne, Jouvet, [1873-1877]. - Tome III


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