recherche
LA PIERRE A NITON - BLOC ERRATIQUE

Une pierre préhistorique : La pierre à Niton

Il y a quelques milliers d'années une grande entreprise de transports publics, le glacier du Rhône, déchargea deux colis volumineux dans la rade de Genève, blocs erratiques arrachés à de lointaines montagnes. Plus tard, beaucoup plus tard, les lacustres de celte région consacrèrent la pierre la plus éloignée de la rive à un culte païen en l'honneur du dieu des eaux Neith d'après ce que nous en disent les archéologues. Enfin, en 1820, le général Dufour, préparant sa carte de la Suisse, scella dans le flanc de la pierre une barre de bronze qui devint le point de repère de toutes les mesures d'altitude des sommités.1

Si les Helvétiens de Lausanne adoraient la pierre Oupin, les Allobroges en faisaient autant à l'égard du bloc granitique Diolyn, l'une des deux pierres consacrées à l’« Esprit des eaux » sous le générique de Niton (qu'il est mieux d'écrire Neit-on), blocs situés l'un à 50, l'autre à 90 toises de la rive », nous dit Blavignac. On n'est pas fixé sur la signification de la divinité Neith, ou Nith : les sujets représentés par les très anciennes gravures étaient la terre nourricière Ghé, fécondée par Caelus, le ciel, et Neithe, protectrice de la nature, épouse d'Ammon-Râ, le soleil. Ce nom ne viendrait-il pas plutôt des deux mots celtiques : nith (combat) et onno (le fleuve) ? M. B. Reber, lui, nous enseigne ce qui suit : C'est sans doute le souvenir bien effacé d'une divinité sommaire qu'on retrouve dans le mot Niton, qui s'appliquait à un individu rusé et espiègle. Ce nom servait aussi à désigner d'une façon détournée le Diable. Le vieux français disait Netun, luitun, d'où le mot actuel lutin. (Les Nutons, ou Noutons, sont, en Belgique, les équivalents des lutons, ou lutins, variété de farfadets. Nuton et Nyton auraient-ils la même signification ? C'est très probable.) On peut voir, sur la plus grande de ces deux pierres, un enfoncement carré (34/35), fait évidemment de main d'homme. Quelques savants du XVIIIe siècle ont cru voir là l'emplacement choisi pour allumer le feu des sacrifices, mais l'hypothèse consacrée actuellement est que ce trou servait simplement à recevoir un poteau-fanal, ou encore une croix chrétienne.

Galiffe prétend que dans le milieu du XVII° siècle (1660 ?), des pêcheurs ont découvert, au pied de la plus grande de ces deux roches, trois haches et un couteau de bronze (securis et suscepita), de la forme de ceux dont on se servait pour immoler les victimes. (Des haches de telles formes ont été trouvées également en Argovie).

Et voici maintenant une curieuse légende se rapportant à ces pierres du Niton : Gargantua était en mauvaise intelligence avec les Genevois. Il lui vint à l'idée de boucher le Rhône avec des pierres et de la terre. Dans cette intention, il monte au Grand Salève et remplit sa hotte de rochers. Ne pouvant aller jusqu'à Genève, il saisit un gros bloc qu'il lança sur Genève. Celui-ci tombe dans la rade ; c'est ce qu'on appelle aujourd'hui la grande pierre du Niton. Gargantua, épuisé, lança un second bloc ; mais celui-ci tomba à Ambilly. On l'a toujours appelé la pierre à Bochet.2

Gagantua n'en était pas à son premier exploit car comme nous le raconte Denis Bressan dans son "Gargantua dans l'Ain", le géant n'en était pas à son premier exploit:

Gargantua s’est signalé dans le Pays de Gex par des exploits merveilleux. Tout d’abord, il conçut un projet vraiment audacieux. Il résolut de rendre le Colomby-de-Gex aussi haut que le Mont-Blanc. Pour cela, avec une hotte faite à sa taille, il allait chercher des matériaux au pied des Alpes. Il en avait déjà pris une si grande quantité que l’excavation qu’il avait formée devint par la suite le lac Léman.
Combien fit-il de voyages ? La légende ne le dit pas. Toujours est-il qu’un beau jour, après avoir traversé le hameau d’Arbère, à Divonne, avec son lourd chargement, une bretelle de sa hotte se cassa et toute la charge se répandit sur le sol. Les matériaux renversés étaient tellement considérables qu’ils formèrent le mont Mussy qui domine Divonne au sud-ouest.
Après cet accident, le géant découragé abandonna son projet et se contenta de jouer aux palets avec les blocs de pierre qu’il avait sous la main, entre autres avec un bloc erratique de gneiss de vingt mètres cubes et un autre de conglomérat houiller de quinze mètres cubes. Ces deux blocs se voient encore au hameau d’Arbère. Le premier s’appelle le Galet de Gargantua et le second la Boule de Gargantua.
La nouvelle de ces exploits extraordinaires se répandit au loin, tellement qu’un autre géant poussé sans doute par la curiosité ou la jalousie résolut de venir se mesurer avec Gargantua.
Ce deuxième géant s’appelait Samson. Ce devait être le fameux Samson dont parle la Bible. Il n’était pas un géant, mais il était aussi fort qu’un géant et ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que toute sa force résidait dans sa chevelure. Dans son pays, il s’était déjà signalé par des faits surprenants : il avait tué trois mille Philistins avec une mâchoire d’âne ; il avait aussi attaché de la paille à la queue de trois cents renards et y avait mis le feu pour les lâcher ensuite dans les blés de ses ennemis.
On frémit en songeant à la lutte engagée entre les deux champions. Gargantua se posta sur le mont Mussy formé, comme nous l’avons vu, par sa dernière hottée, et Samson sur la colline de Rianmont, à Vesancy. La légende prétend qu’alors ils ont simplement joué ensemble avec des palets. Drôle de jeu, ma foi ! A cette distance qui peut être évaluée à 2.500 mètres, ils se jetaient réciproquement des blocs énormes. Le plus gros de ces blocs, à Vesancy, porte encore, dit-on, le nom de Boule de Gargantua.

Georges Savary, novembre 2021

Alphonse Bernoud, Journal de Genève 20.12.1958

Jacques Buenzod, Journal de Genève 8.7.1942



<< retour