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CAVALCADE DE 1899

Grande foule, dimanche 19 février 1899, à Versoix, à l'occasion de la cavalcade de bienfaisance ; elle était destinée aux nécessiteux de la localité et avait été organisée sous la présidence d'honneur du maire, M. Dégallier, et sous les auspices d'un comité d'organisation fort actif. Le programme officiel comportait trente groupes divers, avec trois fanfares. Les témoins de cet événement nous donnent un reflet détaillé de cette dernière grande manifestation villageoise à Versoix, au XIXe siècle. 

« Depuis longtemps la population de Versoix, avec un zèle qui lui fait honneur, s'était préparée à la fête d'hier. Une fête dont on ne peut que dire du bien car c'était celle des pauvres. Les habitants se sont mis en frais et les dépenses qu'ils ont faites pour se rendre utiles à leurs semblables sont assez élevées. La petite ville a été récompensée de ses sacrifices par une affluence énorme de visiteurs et par des tirelires bien remplies.

Le beau temps aidant, tout a marché à souhait et le soleil de mai qui brillait au milieu de février rendait encore plus séduisant l'aspect de la ville enguirlandée pavoisée enrubannée. Dès l'entrée de Versoix on passait sous un majestueux arc de triomphe au-dessous duquel on lisait cette inscription :

Bienvenue à vous cavaliers Bicyclistes piétons 

Bienvenue aux dons financiers Mais pas de boutons !

Ici Lurbigny de Genève Et ses soldats longeant la grève

Attaquaient la forteresse Et mirent l'ennemi en détresse.

Dans les rues latérales la décoration était tout aussi générale que dans l'artère principale. Rue des Boucheries on lisait :

Si humble rue des Boucheries Hors de grande circulation

Résonne des coquetteries. ... Pardon si j'en fais allusion.

Voilà n'est-ce pas des vers qui témoignent en tous cas d'une grande bonne volonté. Et ceux-ci :

Comme la route cantonale Elle s'est coquettement parée

Afin qu'aucune ne la ravale Quoique petite et resserrée.

L'entrée du chemin conduisant au débarcadère était particulièrement décorée, un superbe arc de verdure avec cette devise :

Beau quai de vagues caressé Tu t’admires dans le Léman.

De ton crieur trépassé rappelle-loi avec élan.

Cavalcade à notre fanfare Tu vis le jour en premier lieu

Ne fais pas rien que tintamarre Mais soulage le pauvre un peu.

Au centre de la ville :

Ici nous faisons des bonbons

Du papier et du chocolat

Des beaux peignes pour les chignons

La moutarde au goût délicat.

 

On dit très souvent que la vie

Est une ample vallée de larmes

Douceurs venez ! On vous convie

Pour en dissiper les alarmes.

Dans les environs de la Gare:

19 Février 1899

Bienvenus chers Genevois

Dans la commune de Versoix 

L'industrie et l'agriculture

Se montrent avec parure.

 

Le 8 novembre 1589

Bienvenus les chers Genevois

Dans le village de Versoix 

Lorsqu'ils vainquirent La Sarraz

El du fort firent un amas.

Et pour finir les devises — qui ont leur importance à Versoix, pays du caramel — mentionnons encore la suivante copiée rue de l'Industrie :

C'est ici la rue de l'Industrie

Où personne ne s'ennuie

Tout le monde est invité

A venir la visiter.

Passons à la cavalcade qui a défilé dans Versoix avec une lenteur voulue. Ne fallait-il pas laisser le temps aux gracieuses quêteuses de remplir leurs escarcelles : « C'est pour les pauvres » disait-elles et bravement on donnait et pour chaque sou petit ou grand tombant dans la « crésolette » c'était un sourire...

Les avocats du barreau de Genève qui sont comme chacun le sait pleins de malice disaient de l'un des leurs, homme fort aimable et d'une bonne grâce constante : « Il est six heures du soir et il n'a pas encore dépensé tous ses sourires. » Et bien les demoiselles de Versoix à la nuit tombante en avaient encore une bonne provision conservée en vue du bal — mais cette fois ce n'étaient plus les pauvres qui en profitaient.

Il restera d'ailleurs une trace de celte journée ; un photographe M. E. Frey ayant eu le soin d'opérer laborieusement.

Voyons maintenant la cavalcade. Naturellement elle a été ouverte par des cavaliers et par des gendarmes et encore par un héraut d'armes suivis de la Fanfare du Petit-Saconnex et de la section de gymnastique de tenue irréprochable. Pendant que nous parlons des gymnastes constatons l'éclatant succès qu'ils ont obtenu aux diverses haltes avec leurs productions aux massues ; c'était correct sans bavure et bien étudié.

Les fanfares de Veyrier et de Versoix ont aussi contribué à leur succès en accompagnant les exercices.

Il nous faudrait pour chacun des 24 ou 26 chars, un rez-de-chaussée, c'est-à-dire un feuilleton de la Tribune et comme nos lecteurs pourraient à la longue être fatigués d'un « A suivre » quotidien, nous allons nous résumer, bien à regret, car vraiment la plupart de ces chars dénotaient du goût et de l'intelligence.

Voici l'agriculture arrangée par M.  Cuignex. On y mange du pain bis et la vanneuse bien détrônée par la vapeur, s'y montre comme un pieux souvenir ; elle vanne des confettis ! — L'horticulture par M. Prévond, un petit monument élevé avec grâce à la verdure ; les tourneurs (M. Martinelli), création de bon aloi ; les modistes, une petite merveille d'élégance en bleu et blanc avec de gracieuses et diligentes ouvrières aux doigts agiles faisant des montures (de chapeaux) avec des riens. Le char des Bras-de-coton, genre farce de carnaval par la brasserie de Nyon (assez bien réussi) ; celui des lapidaires (M. Giroud) salué au passage.

La noce villageoise a fait défaut ce par la suite de la disparition subite de la mariée) : disait une affiche ; il a été occupé par la bruyante jeunesse des écoles qui a fait la noce à sa manière. La confiserie, par MM. Dégallier et Deshusses, une installation complète avec four et fabrique de vrais bonbons : ce char était l'un des plus admirés surtout par les enfants qui avaient l'eau à la bouche en voyant sortir du moule les drops et les rocks aux délicats parfums. Les plâtriers-peintres auraient obtenu le premier prix si l'on avait songé à constituer un jury. Ce char des gypsiers (M. Collet) avec une équipe montant un galandage autour d'un petit édifice fort gracieux de composition était une trouvaille. M. Priester tonnelier a montré beaucoup d'esprit d'invention aussi : une grande bosse sur laquelle trônait un solide Bacchus (qui fit une chute malheureuse de son véhicule) et une seconde bosse en travail le tout suivi d'une équipe d'ouvriers en tenue de travail traînant un matériel d'encavage relisant de propreté. Fort original et de bon goût l'idée des scieurs de long au travail sur un tronc d'arbre reposant sur un immense chevalet où grimpait du lierre. Au point de vue de l'harmonie et de la grâce, étant du jury, nous aurions décerné le prix d'honneur au char « Helvetia fantaisie » ; c'était un très joli groupement de petits enfants attifés avec une coquetterie que savent seules trouver les mamans fières des leurs.

Les meuniers ont eu un succès particulier : en vidant leurs sacs de farine ils blanchissaient même le nègre qui faisait partie du cortège. Les ferblantiers (M. Veggia) avaient de l'entrain et ils ont tapé dur : leur tapage professionnel égayait beaucoup la cavalcade. L'acétylène, la grande mode du jour, s'est fait remarquer par une installation très complète. Un autre char de l'agriculture (M. Dolder) était très heureusement combiné au moyen d'instruments aratoires. M. Seeger avait construit le char de la tonnellerie qui avait très bonne façon ; M. Demoinsel celui de la menuiserie avec des ouvriers actifs et entendus à leur métier. MM. Bristlen, le char de la papeterie très curieusement combiné avec des cahiers pour écoliers formant guirlande et des inscriptions dans le genre de celles-ci : cahiers tout écrits pour les élèves paresseux... qui font leurs classes à la porte de l’école ; papier buvard contre l'ivrognerie ; en prévision du désarmement on fabrique des canons de papiers pour tuer les mouches. Le char — ou plutôt le tombereau de la voirie — a jeté une note gaie avec « La poste de l'avenir. » Par contre la note sérieuse a été donnée par la section de sauvetage qui avait monté un bateau, un vrai bateau à roulettes, et voilé. L'équipage au grand complet en tenue de service a produit une excellente impression. Et Guguss et Polyte ? Montés chacun sur un âne, nos petits espiègles ont obtenu un vif succès ; ils portaient en bandoulière l'un une plume énorme l'autre un énorme crayon symbole de la double collaboration qui fait du vrai Guguss un ami qu'on aime à voir revenir chaque samedi, un ami bon enfant qui ne fait pas de politique et ne parle jamais de l'affaire Dreyfus. Et pourtant il est du quartier des « ronchonneurs ! » C'est peut-être tout. Nous disons « peut-être » car nous pourrions bien avoir oublié quelqu'un ou quelque chose. Dans ce cas nous demandons des circonstances atténuantes : il y avait plusieurs programmes en rouge en jaune en blanc qui renfermaient chacun des indications un peu différentes et d'autres numéros. Mais c'est là un mince détail en regard du magnifique résultat obtenu, 625 Fr., auxquels il faut y ajouter quelques cents francs d'offrandes particulières.

Le beau soleil des brandons a salué cette exhibition communale, avec ses gaies toilettes de printemps ; les dames se souviendront longtemps d'avoir parcouru, en toilettes blanches, Versoix le 19 février ; cela n'est point fréquent. Les décors étaient nombreux et les arcs de triomphe, élevés un peu partout, ont contribué à donner un cachet printanier au village industriel où, sous les drapeaux et la verdure, se pressait une foule nombreuse et bienveillante. Belle recette pour les nécessiteux et bonne journée pour la commune de Versoix. »

Georges Savary, janvier 2021

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