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SAINT-LOUP SOUVENIRS DE NOËL PICCOT

 SAINT-LOUP -  Récit
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Vaste domaine, limité côté Jura par les bois de la Bâtie et d'Ecogia, côté lac par le chemin Vert (aujourd'hui de Sous-Saint-Loup), et l'ancien terrain de football, s'étendant à l'ouest jusqu'à la route de Ferney et à l'est jusqu'à la route de Sauverny.
Construit au début du XVIIIème siècle, il fut agrandi vers 1820 par une tour carrée comprenant au 1er étage une très belle chapelle, accessible pour le personnel par un escalier dans la tour, et pour la famille par les appartements du 1er étage.
Les nombreuses pièces du château sont distribuées de la façon suivante : au rez-de-chaussée, le salon chinois, la grande salle à manger dont la table en acajou, extensible, peut recevoir jusqu'à trente couverts, le fumoir au mur bibliothèque, la salle de billard avec deux tables pour le jeu à trois bandes, s'y trouve aussi l'armoire aux fusils de chasse, le boudoir et un petit atelier de peinture, la salle de musique et son grand piano à queue, un vestiaire et une vaste cuisine où opère un chef en toque, assisté d'une gouvernante et de deux filles de service en robe noire, tabliers et coiffes blancs.
Au premier étage, les chambres à coucher de la famille, celles des amis en séjour, du chapelain-précepteur, des visiteurs de passage ainsi que la "chambre de l'évêque", réservée en permanence à Monseigneur l'évêque de Lyon qui venait de temps à autres se reposer quelques jours au château. Le deuxième étage abritait les logements du personnel de maison.
Côté sud, une grande terrasse à balustrade de pierre, avec une vue splendide sur le lac et le Mont-Blanc. Un jardin à la "Le Nôtre", chaque saison superbement fleuri, un grand bassin en forme de trèfle à quatre. Les allées bordées de parterres fleuris sont couvertes de petits cailloux blancs. De nombreux orangers, si bien soignés qu'ils produisent fleurs et fruits, ainsi que quatre palmiers sont disposés autour du bassin.

 Le château de Saint-Loup après transformations en 1874


Au centre de celui-ci, une tuyère propulse à quinze mètres de hauteur un puissant jet d'eau. Cette eau de source alimente le château, la ferme, ainsi que les besoins des jardiniers pour l'arrosage. Au lieu-dit "La Tourne à Conti", un pont avec des vannes à rouleaux permet de dévier tout ou partie du courant de la rivière, fournissant la puissance à une station de pompage pour conduire toute cette eau jusqu'à Saint-Loup cent mètres plus haut. Sur le bassin, profond d'un mètre cinquante, un petit bateau à rames est à disposition des amateurs de canotage.
Le parc est une merveille riche de nombreuses essences exotiques. Palmiers, citronniers, caroubiers, arbres de Judée, wellingtonias, catalpas, micocouliers, cèdres du Liban et autres conifères. De belles allées cavalières ombragées et une piste de galop complètent l'équipement sportif qui comprend même un tennis sur gazon dont les limites sont marquées par des bandes de toile blanche clouées dans le sol.
Pour la méditation, une grotte, copie de celle de Lourdes, avec une belle statue de la Vierge, entourée de petites cascades, est enfouie sous une tonnelle de buis.
Ce splendide domaine comporte deux fermes et de nombreuses dépendances.
Au fond de la cour, séparant le château de la grande ferme, se trouvent une écurie de six stalles, la sellerie, les logements du cocher et du palefrenier, ainsi que les locaux pour ranger le phaéton et le tilbury, car on attelait souvent pour la promenade.
Plus tard, ce sont deux longues et somptueuses limousines noires "Delage" qui y prirent place, L'une est un vrai "salon" roulant! L'habitacle du chauffeur est isolé par une épaisse vitre, un cornet acoustique assure la communication des ordres. Deux vases de cristal, fleuris chaque matin, décorent l'arrière, où cinq personnes sont très à l'aise, trois sur la banquette et deux sur des strapontins pliables. Les chauffeurs, tout de noir vêtus, portent casquette, guêtres et gants noirs, ainsi qu'une houppelande de même couleur. Ils ont noble et grande allure !
Au début de l'allée de superbes platanes conduisant à la "Fontaine des Amoureux", la loge du chef jardinier, Monsieur Girard, adossée à l'orangerie-palmeraie, belle bâtisse" de briques rouges et blanches, très bien éclairée par de très hautes fenêtres, où l'on entrepose pour l'hiver les orangers et les palmiers. Le bâtiment abrite aussi la chaufferie pour l'orangerie, les serres et les locaux de buanderie, de séchage et repassage. Les serres, le long de la route de Saint-Loup servent à préparer les plantons des fleurs qui décoreront le parc et le château, de même
que les plantons de légumes pour le grand potager qui devait fournir la cuisine.
Les autres dépendances sont, la maison du second jardinier Monsieur Rogivue et la maison dite "La Violette" où habitait la famille Ryser. A part la partie logis, cette ferme comportait grange, écurie, d'immenses greniers à fourrage et une remise où était garé tout le matériel servant à l'entretien de la vigne et aux vendanges. Cette remise a d'ailleurs une particularité, toujours visible, c'est d être construite avec un matériau rarement utilisé dans nos régions, le tuf.
La maison Rogivue et la Violette avaient également un détail commun, toutes deux avaient au-dessus d'une porte une niche ogivale avec une statuette de la Vierge protégée par une porte grillagée. La maison Rogivue a été démolie, mais ceux qui ont racheté, rénové et modernisé la Violette, ont conservé cette niche comme témoin du passé.
Cadre et décors plantés, quelques mots sur les châtelains.
Le domaine était la propriété de Madame L. Conty, fille d'une grande et riche famille de soyeux de Lyon, dont l'héritière, sa nièce, Madame Dumont la douairière, arrivait à Saint-Loup début juin avec une suite réduite de huit à dix personnes. Ses trois fils et leurs familles suivaient avec le reste du personnel. En pleine saison, ce sont quarante personnes qui vivent au château. On y mène grand train, c'est la fête tous les jours !
Cette situation, hélas, se dégrada lentement. La fortune Conti construite aux XVIIe et XVIIIèmes siècles, lorsque Lyon commandait le marché de la soie dans le monde entier, s'épuise à entretenir une nombreuse famille de grands bourgeois oisifs.
Dans les années 1920-1930, le train de vie baisse fortement, et à la mort de Madame Dumont vers 1940, le domaine est morcelé. Les bois allant de la Versoix à la route de Ferney sont vendus au canton, la petite ferme à Me Dutoit et la grande ferme à Monsieur Serex.
Monsieur Vecchio vendit diverses parcelles devenues "zone villas", dont les vignes et le champ dit "du cimetière". Le château, lui, fut cédé à un démolisseur en 1950.
Pour nous, les enfants Piccot, les relations avec les châtelains étaient bonnes, nous servions la messe à la chapelle, partagions des jeux, du sport avec les enfants du château.

Noël Piccot, janvier 1994
SOUVENIRS... personnages et anecdotes du temps de notre enfance.
Amicale des anciens élèves de l'école primaire de Versoix (Volée 1919-1923)

Notes A.P.V. : fermiers de St Loup avant 1900 =  Louis-Marc Debourgogne et son épouse Marie-Louise-Henriette, née Croutaz marié en mars 1865. Jusqu'en 1913 environ, avec leurs enfants Louis, Marc, François, Elie.

                                                 après 1913 =  Eugène Piccot jusque'à la vente du domaine 

                     jardiniers               de 1884>1902 François Bordet, né en 1841

                                                  de environ 1918 > 1950 Girard



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