LE VICAIRE SAVOYARD - FRANCOIS GATHIER
Le Révérend sieur Gathier, l’un des deux modèles de J.-J. Rousseau pour son Vicaire Savoyard a bien été au centre d’un scandale. Tombé amoureux fou d’une jeune fille, il lui fit un enfant. C’est à Versoix que le nouveau-né vit le jour. Dans la société savoyarde de l’Ancien régime, si un homme, qui a un enfant illégitime avec une jeune fille d’un milieu populaire, est déjà marié, la situation est « simple » : il lui paie en dédommagement une somme modique et les choses en restent là. Afin d’éviter les commérages, le sieur prend la précaution de faire accoucher sa maîtresse dans une autre paroisse. Comme ce type de situation n’a rien de très exceptionnel, Le Révérend sieur Gathier, imagine d’attribuer à Jacques Violland, riche mercier de Nancy-sur Cluses, la paternité de l’enfant qu’il a eu avec cette jeune fille de Cluses. Mais celle-ci est prise de remords, et le 19 février 1733, elle fait une étonnante déclaration notariée, en faveur du sieur Jacques Violland : « … qu’en suite du malheur qui luy est arrivé de la copulation charnelle que le Révérend sieur Gathier tant auroit été qu’elle auroit accouché d’une fille appelé Claude le 3 décembre proche passé et auroit été baptisée le 6 audit mois par Révérend sieur Pernet, curé de la paroisse de Versoy où elle a accouché, et auroit par surcroît de malheur, donné l’enfant au nommé Jacques fils de feu Jean-François Violland sans que ce soit ledit Violland ny par copulation ny autrement, et qu’elle auroit le malheur de luy donner ensuite des menaces et des intimités que luy avait fait le légitime père, qui est ledit Révérend sieur Gathier, de donner audit Violland. »
L'église Saint Théodule, érigée en 1268, a été église paroissiale jusqu'en 1839. C'est ici que fut baptisée la petite Claude. Jean-Jacques Rousseau, évoque dans les Confessions, la personnalité et les ennuis de ce Révérend sieur Gathier, qui avait été son professeur pendant son séjour au séminaire d’Annecy en 1728 : « C’était un jeune Abbé Faucigneran, appelé M. Gâtier, qui faisait son séminaire et qui par complaisance pour M. Gros, et je crois, par humanité, vouloit bien prendre sur ces études le tems qu’il donnoit à diriger les miennes. Je n’ai vû de physionomie plus touchante que celle de M. Gâtier. Il était blond et sa barbe tiroit sur le roux. Il avoit le maintien ordinaire aux gens de sa province, qui sous une figure épaisse, cachent tous beaucoup d’esprit ; mais ce qui se marquoit vraiment en lui était une âme sensible, affectueuse, aimante : il y avait dans ses grands yeux bleus un mélange de douceur, de tendresse et de tristesse qui faisoit qu’on ne pouvoit le voir sans s’intéresser à lui. Aux regards, au ton de ce pauvre jeune homme, on eut dit qu’il prévoyait sa destinée et qu’il se sentait né pour être malheureux. Son caractère ne démentoit point sa physionomie. Plein de patience et de complaisance, il sembloit plustot étudier avec moi que s’instruire. (…) Quelques années après, j’appris qu’étant Vicaire dans une paroisse, il avait fait un enfant à une fille, la seule dont avec un cœur très tendre il n’eut jamais été amoureux. Ce fut un scandale effroyable dans un Diocèse administré très sévèrement. Les prêtres, en bonne règle, ne doivent faire des enfants qu’à des femmes mariées. Pour avoir manqué à cette loi de convenance il fut mis en prison, diffamé, chassé. Je ne sais s’il aura pu dans la suite rétablir ses affaires : mais le sentiment de son infortune profondément gravé dans mon cœur me revint quand j’écrivis « l’Emile » et réunissant M. Gâtier avec M. Gaime, je fis de ces deux dignes prêtres l’original du Vicaire Savoyard. Je me flatte que l’imitation n’a pas déshonoré ses modèles. »
Source: L'émigration marchande savoyarde aux XVIIe et XVIIIe siècles : l'exemple de Nancy-sur-Cluses / Chantal et Gilbert Maistre. 1986 |
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