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ALAMBIC AMBULANT, AREOMETRE, PLASTRON NAUTIQUE

Versoix, terre des inventions

L’image de l’alambic mobile est encore présente dans l’esprit des Versoisiens qui fréquentèrent l’école jusque dans les années 1960. De cette « distilleuse » placée sur une remorque garée vers le Buffet de la Gare, s’échappaient les effluves d’alcools produits par les fruits que venaient distiller les amateurs d’eaux-de-vie de la région. Sur cet alambic aux cuivres brillants, s’affairait le distillateur Pélichet, venu de Crans-près-Céligny.

Pour les écoliers curieux, l’observation de cette machine aurait pu être l’occasion d’un cours de physique ou d’histoire. On peut cependant regretter que l’occasion ne fût pas saisie. Pourtant, il y aurait eu assez de matière pour intéresser les élèves. Ils auraient pu apprendre que cette machine avait été inventée par Isaac-Ami Bordier-Marcet, un ingénieur installé à Versoix. En 1787, il s'associe avec ses frères Daniel-Aimé et Jean et ils reprennent l’entreprise d’Ami Argand, alors en grande difficulté. Contrairement à leur oncle, fils d’horloger, les deux frères, issus d’une famille de commerçants et de banquiers genevois dotés de connexions en France, avaient les moyens de leurs ambitions. Isaac Bordier-Marcet se voua à la recherche en perfectionnant les luminaires, puis en développant l’éclairage urbain. En 1809, on dénombrait ainsi à Paris onze mille cinquante réverbères mis au point par lui. Daniel, quant à lui, pérennisa l’entreprise à la faveur, notamment, du blocus continental qui éloignait la concurrence des articles anglais entre 1807 et 1814.  
On doit à Isaac-A. Bordier-Marcet l’invention du système d’éclairage parabolique qui obtint deux médailles d’or en 1832 et 1834. Le 21 juillet 1819 fut lancée l'adjudication pour la réalisation du phare français du Four, à l'entrée de la Loire, l'appareil d'éclairage, composé de 6 réflecteurs, a été fourni par Bordier-Marcet. En 1835, le phare la Pointe Saint-Mathieu était aussi équipé d’une lampe à huit réflecteurs tournants du même fabricant.

 

Le savant genevois Ami Argand est entré dans l’histoire pour avoir inventé vers 1780 la lampe à double flux d’air. Ce luminaire, dont le pouvoir éclairant égalait celui d’une demi-douzaine de bougies, fit sa gloire en tant que chercheur et sa ruine en tant qu’industriel. Ses qualités d’inventeur permettent à Argand de réaliser d’importantes améliorations dans le domaine de la distillation, ce qui lui vaut les honneurs de la communauté scientifique. Le roi de France Louis XVI lui offrit 100000 francs pour construire une gigantesque brûlerie à Mèze, en Languedoc. Terminée pour les vendanges de 1789, cette distillerie fut pendant trente ans la plus importante de France. A Versoix, les bâtiments qui ont abrité la distillerie d’Ami Argand (Maison Ferrier) ont fait l’objet de fouilles qui ont permis de découvrir les vestiges de ce site industriel du XVIIIe siècle.

Invention de l’alambic ambulant

Isaac-Ami Bordier-Marcet publie en 1812 dans Annales des Arts et Manufactures ses Notes sur un alambic ambulant pour distiller du kirschwasser.

 

Alambic ambulant vers 1900 - Delcampe.net

 

(…) En 1804, alors qu’il exploitait à Versoix la distillerie de kirschwasser -eau vie de kirsch- de son oncle Ami Argand (1750.1803), la mauvaise récolte des cerises l’obligea à chercher des moyens de travail dans les localités lointaines qui auraient été plus favorisées ; il inventa l’alambic mobile qu’il destinait aussi à la distillation des lies de vin, si abondantes dans le canton de Vaud, et dont l’art n’avait pas encore amélioré les produits. Acheter à l’avance les matières, les emmagasiner sans frais de loyer ni de transport, choisir son moment pour opérer successivement dans chaque local la distillation de ces matières, travailler de compte à demi avec les propriétaires qui n’auraient pas voulu les vendre et qui sont très contents de retirer sans peine la moitié des produits, tel était le plan de l’inventeur.

Cet alambic est monté sur un char à quatre roues, il peut à la rigueur distiller en cheminant ; il fut imaginé pour la distillation en grand de fruits à noyau, et pour celle des résidus de vendange et des autre matières vineuses, dont le volume et le peu de valeur rendraient le transport trop onéreux, et qui par les procédés ordinaires ne donnent que des produits défectueux. L’alambic est de cuivre, enveloppé de lainages, et encaissé en bois fortement contenu par les traverses et par la ferrure du char ; il est placé sur le train de derrière ; le réfrigérant, avantageusement combiné pour la condensation des vapeurs, est placé sur le devant ; les roues sont encadrées dans la charpente, et tournent très librement sur les axes de leur essieu, fixé avec la force dans le moyeu de chaque roue.

Le bain-marie contient environ 400 litres d’eau ; l’on met dans la chaudière 6 à 700 litres de matière en distillation, et l’on fait aisément deux cuites en 24 heures ; le foyer est placé dans le bain-marie, et le calorifique est si bien concentré, qu’on dépense peu de combustible, et qu’après plusieurs distillations à peine l’enveloppe de bois est-elle échauffée ; la vidange et le lavage s’opèrent avec facilité. Beaucoup d’autres perfectionnements distinguent cet appareil.

Outre l'avantage des parties intéressées le bien général résultait d'une augmentation de produits et de la qualité supérieure de ces eaux-de-vie, qui par les procédés ordinaires deviennent caustiques et délétères et sont cependant d'un usage général dans ce canton et dans toute la Suisse. Il fallut, à plusieurs reprises, faire à cet alambic des changements considérables; ces essais dispendieux durèrent toute l'année 1805; sa première sortie eut lieu en mars 1806 pour distiller la récolte des cerises assez renommées de Bex, canton de Vaud, dont l'achat avait été fait dès l'année précédente; il fit sa seconde et dernière campagne la même année à Evian, où l'auteur eut l'honneur de recevoir dans son atelier la visite de S. A. R. le prince royal de Bavière, celle de MM. Prony et Sganzin et d'autres personnes distinguées, qui lui témoignèrent leur satisfaction de la vue de cet appareil, aussi curieux par la simplicité de sa construction qu'utile par l'abondance de ses excellents produits.

Obligé dès lors de se fixer à Paris pour l'objet important de l'éclairage, Isaac-Aimé Marcet n’a pu réaliser les projets que cette invention avait fait naître, et qui présentent tant de grands avantages aux personnes douées d'intelligence et munies de quelques capitaux qui voudraient en faire usage. L'auteur donnera de plus amples renseignements à ceux qui désireraient entrer en traité avec lui à ce sujet. On peut s'adresser à M. Bordier-Marcet, breveté, rue du Faubourg Montmartre, no4, à Paris, ou à MM. D. A. Bordier et compagnie, à Versoix. (…)

Améliorations portées à l’aéromètre

Isaac-Aimé Bordier-Marquet, par son activité dans la distillation, s’est aussi intéressé à améliorer l’aéromètre. Cet instrument dont on se sert pour connaître les densités relatives des liquides, et évaluer leur concentration en sucres, en alcool ou en acide.

(…)Plusieurs savants se sont occupés avec succès de l'aréométrie ; la science doit à M. Cadeta de-Vaux plusieurs instruments, mais on n'a pas encore traité la question sous le point de vue le plus utile à la fabrication et au commerce des eaux-de-vie. : C'est dans ce but ainsi que pour l'usage de notre distillerie, que je me suis occupé des améliorations dont l'aréomètre de Cartier était susceptible , et je présente le résultat de mes observations, heureux si j'ai réussi à porter quelque lumière sur un art aussi essentiel. Il eût été avantageux à notre distillerie de kirschwasser de connaître par l'aréomètre la qualité des cerises soit de leur vin; nous avions été souvent trompés dans nos achats par des mélanges frauduleux , lesquels en diminuant la quantité d'esprit ardent, détérioraient la qualité, mais nos essais ont été infructueux, ce vin est si chargé de parties muqueuses et colorantes , que même un an après la récolte, il marque plusieurs degrés au-dessous de l'eau ; les vins sont inappréciables à l'aréomètre, on peut comparer entre eux des vins de même nature, mais on ne peut connaître la quantité d'alcool qu'ils contiennent.

Nous avons remplacé l'aréomètre par un alambic portatif, chauffé à la lampe d’Argand ; il contient un litre ou demi-litre, ; et dans moins d'une heure, on connaît la qualité du liquide en distillation. Pour apprécier ces minutieux produits, il fallait un mensurateur proportionné avec lequel on pût faire de très-petites pesées, j'ai rétréci la partie inférieure de l'étui qui contient la branche lestée de l'aréomètre, et je l'ai raccourci au point que la boule étant posée sur l'endroit rétréci, les degrés au-dessus de 26 de Cartier étaient hors de l'étui; c'est le plus fort alcool que l'on obtienne de ce vin au commencement de la distillation, par ce moyen j'ai pu réduire la capacité de l'étui et chaque pesée à 4 centilitres; lorsqu'on distille demi-litre d'essai, 3 pesées ou 12 centilitres suffisent pour apprécier la qualité et comparer avec les essais précédents. C'est en cherchant à évaluer ces produits que j'ai reconnu la nécessité de réformer la graduation actuelle et la possibilité d'en substituer une meilleure (…)

Isaac Ami Bordier-Marcet ne s’arrêta pas aux inventions ayant un rapport avec la lumière et la distillation, il prouva son intérêt sans limite pour l’amélioration ou l’invention de divers appareils propres à faciliter la vie de l’homme comme nous le découvrons ci-dessous.

Le plastron nautique et le nautile, nouveau scaphandre à air.

(…) Un ballon s'élève dans les airs, parce que dans son ensemble il est plus léger que le volume d'air qu'il a déplacé : tel est le principe de l'admirable découverte de Montgolfier ; de même le volume d’eau, déplacé par un corps flottant à sa surface, pèse autant que ce corps : telle est la loi de l'équilibre des corps plongés dans les fluides.

Le plastron nautique

C'est une espèce de tunique ou vêtement composé d'un tissu impénétrable à l'air et à l'eau ; il est à double fonds, et divisé en deux ou trois cases transversales, afin qu'en cas de rupture de l'une d’elles, le nageur ne perde point l’équilibre, et que celles qui ont soutenu l'effort puissent suffire à sa conservation. A chaque case vient aboutir un petit tuyau flexible, également imperméable à l'air, au bout duquel est adapté un petit canon ou soufflard, suspendu à portée de la main et de la bouche. Cet ajutage de métal, d’ivoire, ou d'autre substance , est à robinet , disposé de manière que le nageur puisse avec facilité remplir les cases de l'air de ses poumons , et l'y renfermer hermétiquement pendant qu'il en respire d'autre ; on peut le varier de bien des manières. (…)

Le plastron se place vide d'air sur la poitrine ; il est attaché aux cuisses et au cou par des rubans ou courroies ; le dossier nautique, semblable en tout au plastron, s'attache de même sur le dos du nageur ; les tuyaux doivent être plus longs, afin que leur soufflard soit également à la portée des mains et de la bouche. L'emploi du dossier double l'efficacité du scaphandre, en présentant la facilité d'alléger davantage le corps, par un plus grand déplace ment du liquide , et en offrant une plus grande sécurité dans le cas de la rupture de quelque case gonflée. ! A l'approche du danger, le propriétaire de ce scaphandre le revêt sous sa chemise ; s'il n'a pas été indiscret, il n'est pas soupçonné d'en avoir et ne craint pas de se le voir ravir ; il se prépare avec plus de liberté d'esprit à ce qu'exige la circonstance, et résigné à son sort, il ne s'abandonne à la Providence qu'après avoir employé tous ses moyens de salut.  Il ne gonfle les cases qu'à l'approche de l'instant critique, ou lorsque fatigué de la natation il veut se reposer ; alors ouvrant le robinet et portant le soufflard à sa bouche, ce magasin inépuisable lui fournit à volonté le volume déplaçant, qu'il est inutile et même nuisible d’exagérer, car, sauf quelques cas, il convient que le corps reste immergé jusques au cou ; il souffre moins en cette position que s'il restait partiellement à découvert. Cette faculté d'augmenter ou de restreindre à volonté le volume déplaçant, est une des belles propriétés de ce scaphandre. Le nageur veut-il plonger ? il ouvre le robinet, l'air s’échappe, et le mince tissu qui le contenait n'offre aucun obstacle à ses désirs ; aucun autre scaphandre n'a cet avantage : il réunit à la souplesse la facilité du transport , et doit pré valoir sur cette répugnance qu'éprouvent les jeunes gens à se servir de ceux qu'on a cités plus haut.  D’ailleurs, les plus habiles nageurs donneront l'exemple ; ceux-ci apprécieront son utilité et le secours qu'il peut leur porter contre une crampe , une contusion ou quelque autre des accidents qui sont inhérents à cet exercice. Ils revêtiront le plastron, mais ne s'en serviront qu'au moment du danger, et l'apprenti nageur voyant son utilité reconnue par ses maîtres, l'endossera joyeusement ; d'abord il gonflera toutes les cases , et satisfait de cet essai , connaissant l'efficacité de ce préservateur , et convaincu qu'il peut sans danger remuer les bras et les jambes et s'en servir pour avancer vers le point qu'il a déterminé , il essaiera de diminuer peu à peu le volume d'air, et sera bientôt assez habile pour ne se servir du plastron que par précaution. Celui qui ne sait pas nager doit gonfler les cases avant d'entrer dans l’eau, car l'effort qu'il faut faire pour vaincre la pression du corps exige quelque habileté dans cet exercice ; il faudra apprendre à gonfler les cases, et avoir même, outre quelque pratique du cas, une certaine force de poumons pour porter au degré convenable l'allégement du corps par le déplacement du liquide. Il faut aussi éviter les secousses trop violentes, qui pourraient occasionner la rupture des cases , surtout lorsque le tissu serait  peu susceptible de résister à une forte pression ; le taffetas gommé, par exemple , ne pourrait la supporter; cependant , s'il est bien choisi et si le scaphandre est bien fait , il aura la consistance nécessaire pour le plus grand nombre de cas. Il sera convenable de fixer une épreuve de rigueur pour la vente de chaque scaphandre, tel que de leur faire supporter, les cases étant gonflées, un poids déterminé. Ceux qui voudraient une plus grande sécurité s'entendront avec le fabricant, qui leur fournira à un prix plus élevé, des plastrons susceptibles d'une épreuve plus forte. La fabrication des tissus propres à cet emploi et celle des scaphandres que je décris , pourra devenir d'un très-grand intérêt , parce que les pères et mères s'empresseront de pour voir leurs enfants de cet équipement de salut. L'exercice de la natation ne présentant plus les mêmes risques , sera plus généralement pratiqué , à l'avantage général , et chaque baigneur aura son plastron ; enfin le voyageur , n'eût-il que des rivières à traverser , et ceux qui doivent s'embarquer, le mettront en première ligne sur leur mémorial d'emplettes ; ceux à qui il semble plus spécialement destiné, les marins , seront peut-être ceux qui en feront le moins de cas , parce qu'ils sont plus familiarisés avec les dangers de la mer; mais quelques exemples remarquables de l'utilité du plastron et du nautile en rendront tôt ou tard l'emploi général.

Du Nautile ou Scaphandre complet.

C'est un vêtement composé des mêmes tissus imperméables ; il a la forme d'un sac, et se resserre autour du cou par un nœud coulant, facile à lier et à délier ; les manches sont ter 6* 84 Plastron nautique. minées en forme de gants, et la partie inférieure est taillée en pantalon, afin de faciliter l'usage des mains, des bras et des jambes ; au tour du nautile sont pratiquées des cases à air qui concourent avec le plastron à l'allégement du corps ; la force du tissu et des moyens de précaution doit être proportionnée à l'usage auquel on destine le nautile. Il peut ainsi devenir une espèce d'embarcation susceptible de contenir des provisions de tout genre ; d'autres récipients de même nature peuvent être remorqués par l'homme revêtu du nautile ; deux roseaux et une serviette peuvent lui servir de voile ou de signal ; un pistolet à trompette et à plusieurs coups aura le même but, et lui servira en outre d'arme défensive. Tel est le moyen nouveau par lequel un infortuné qui s'est échappé d'un naufrage au milieu des mers, peut encore se préserver du trépas pendant quelques jours, dans l'espoir de rencontrer un sauveur. On frémit sans doute à ce tableau d'un homme isolé, voguant sur la plaine liquide, à la merci de ses voraces habitants, et courant la chance de voir passer des vaisseaux , même très-près de lui , sans en être aperçu ! Mais la Providence, en laquelle il s'est confié, peut enfin en conduire à son secours.

 

Isaac Ami Bordier-Marcet

Application de ces scaphandres à l'art militaire.

Il est difficile de prévoir et de décrire les divers emplois qu'on pourra faire de ce principe, qui aura peut - être des conséquences majeures pour l'art militaire. Une rivière large et rapide était jadis un obstacle très- con sidérable à la marche d’une armée victorieuse, les moyens de le surmonter sont une partie essentielle du génie militaire, qui , dans ce but, a produit des chefs- d'œuvre. " Ce ne sera plus désormais qu'un faible rem part. Comment en effet défendre une rive de venue vulnérable sur tant de points ? Si un seul est mal gardé, toute la ligne est exposée, car les nautileurs auront bientôt découvert l'endroit faible, et l'armée passera sur ce point ; sous ce rapport , le plastron nautique pourrait mériter l'attention du gouvernement , en faisant naître l'idée d'une nouvelle arme, susceptible de rendre à l'état de très grands services.

Espoir et déception

M. Bordier-Marcet, auteur du Mémoire qu'on vient de lire , ayant été chargé en 1808, par le Gouvernement , d'établir de nouveaux fanaux au port de Honfleur et de perfectionner ceux des phares du cap de la Hève près du Havre , s'y rendit pour examiner les localités. Je n'ai rien négligé , dit-il , pour remplir et j'ai même eu le bonheur de surpasser, ce que, dans sa paternelle sollicitude pour la marine, le Gouvernement avait attendu de moi ; à Honfleur, comme au Havre, les certificats les plus honorables ont attesté l'efficacité de mes feux; et mes recherches pour parvenir à ce but m'ont conduit à la conception d'un nouveau fanal à feux fixes, qui par ses dimensions grandioses et par la perfection de ses principes de réflexion , m'a paru digne du nom le plus révéré. J'ai proposé de faire la première application du fanal impérial au phare qu'on élève à l'entrée du port impérial à Cherbourg, et de le disposer pour être éclairé à volonté, à l'huile ou par le gaz hydrogène provenant de la houille : on me fait espérer une prochaine décision. C'est en m'occupant de tout ce qui pouvait contribuer au perfectionnement de ces phares établis et entretenus par cette providence administrative, qui veille partout à la fois et suffit à tous les besoins , que pensant à l'utilité qu'en retirent les marins , mes idées se portèrent naturellement sur les moyens de leur procurer, en cas de naufrage , un secours plus immédiat. Ceux que j'ai décrits se présentèrent à ma pensée, et je demeurai surpris que dans un siècle de lumières où mille applications de ce genre se sont présentées à nos yeux , cette idée si simple fût restée encore vierge. et n'eût encore rien produit de bon et d'utile. Certes, dès la première annonce, chacun dira : J'y ai pensé mille fois ; cependant personne n'a su en tirer parti !

Je dois avouer que ma première pensée a été de faire servir cette invention à réparer les brèches énormes que l'éclairage a fait à ma fortune et à celle de ma famille ; je n'en connais point qui fût aussi susceptible de procurer à la fois aisance et considération. Une fabrication nouvelle qui devait donner une grande extension à la fabrication déjà fort intéressante des tissus imperméables ; le débit assuré d'un objet auquel rien de connu ne ressemblait , et qui , susceptible d'un grand débouché , faisait fleurir de nouvelles branches sans nuire à aucune branche ancienne ; un succès attaché au mobile le plus puissant , l'intérêt que chacun porte à sa conservation : je ne crois pas qu'il existe de moyens plus légitimes de conquérir à la fois la fortune et l'estime publique. J'ai fait plusieurs tentatives pour trouver des intéressés , entre autres le 26 mars 1811 , au près d'un notaire rue Montmartre , ensuite auprès de deux négociants , renommés de cette capitale ; mais obligé de m'exprimer énigmatiquement , pour ne pas divulguer mon secret, craignant de le trahir par le moindre essai ; voyant la répugnance de chacun à entrer dans la carrière des inventions , qui n'est encore marquée en France que par les pertes et les dégoûts qui accablent ceux qui la suivent ; répugnant enfin moi-même à changer un état où j'ai acquis si chèrement quelque réputation, je me décidai à confier ma découverte à son Excellence le ministre de l'intérieur , et à lui demander, dans l'audience qu'elle daigna m'accorder le 11 avril 1811 , un brevet de 15 ans gratuit, à titre d'indemnités et d'encourage ment, offrant en ce cas de laisser cette fabrication à la libre concurrence des artistes , et sous la seule condition imposée à chacun d'eux de mettre une marque à l'endroit le plus apparent de chaque scaphandre. Cette marque aurait été vendue, dans chaque chef-lieu de département, par l'administration des hospices, au prix modique de 1 Fr. 50 c., et le tiers de cette rentrée eût été à leur profit ; enfin pour compenser le droit de 1500 Fr., j'offrais de déposer à la Société d'encouragement les 1000 premières marques, dont le produit aurait été appliqué à des prix en faveur des artistes qui lui au raient présenter les scaphandres les plus par faits, dans les principes décrits. Son Excellence m'accueillit avec la bonté qui la caractérise, m'exprima ses regrets de ne pouvoir m'accorder une demande qui, si elle était admise, ouvrirait la porte aux abus, et m'encouragea à persévérer dans la carrière de l’éclairage, daignant applaudir à l'ouvrage que je lui présentais , un des fanaux destinés pour le Havre , et dont la commande était déjà un de ses bienfaits. J'ai suivi ses conseils. Dès lors les journaux ont retenti d'expériences faites en Italie , en Prusse, et récemment en Danemark , dans le même but et probablement par des procédés analogues; les expériences du capitaine Ladorini , à Guastalla et à Livourne , ont eu une grande publicité ; on a même annoncé un accident qu'il a démenti, et on lui conteste déjà, selon l'usage, le mérite de l'invention : c'est là la récompense ordinaire des inventeurs. Aucun de ceux-ci, à ma connaissance, n'a encore publié ses moyens. J'ai cru devoir faire connaître les miens, pour conserver à la France les droits qu'elle peut avoir à cette découverte ; puisse-t- elle avoir d'heureux résultats pour l'humanité, à laquelle j'en fais hommage (…)

Notions sur l’aréomètre centigrade, l’alambic ambulant, et le plastron nautique.

Par M.J.A. Bordier-Marcet, de Genève - 1812

Successeur d’Ami Argand, Inventeur des lampes à  courant d’air, Membre de la Société d’Encouragement, de l’Athénée des Arts à Paris, et de la Société libre d’Agriculture, Commerce et Arts, à Besançon

Georges Savary, mars 2023



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