CRIMES A VERSOIX
L'audience est consacrée de nouveau à une affaire d'homicide. Joseph Jacquier, de Bonneville (Haute-Savoie), âgé de 63 ans, journalier à Versoix, est accusé d'avoir, dans la journée du 28 août 1878, commis un homicide volontaire sur la personne de sa sœur, la veuve Morax. D'après l'acte d'accusation, Jacquier est homme adonné à la boisson, querelleur, violent, qui avait même été déjà l'objet d'une condamnation au correctionnel, en 1872, pour un coup de couteau à son beau-frère. Le 28 août, vers 5 heures après-midi, il se rendit chez sa sœur ; elle n'était pas au logis en ce moment-là ; il prit une pelle à labourer, et sortit. Comme il s'en allait, il vit sa sœur assise sur le seuil d'un atelier de sellerie, la tête baissée ; il lui adressa la parole, lui demandant « quand elle ferait la lessive ? » Alors elle remarqua la pelle qu'il emportait, et lui dit que cet outil n'était pas à lui, mais à son mari. « Répète cela ! » lui dit l'accusé, et la veuve Morax ayant maintenu son dire, il lui asséna sur la tête un coup de pelle qui la fit tomber sur le trottoir, puis il la frappa de coups redoublés avec le fer de cet instrument. Deux personnes qui passèrent en ce moment mirent un terme à cette scène abominable, et Jacquier s'enfuit en criant qu’il allait se noyer ; mais on l'arrêta près du pont de la Versoix. La veuve Morax, transportée à son domicile, expira pendant la nuit. M. le Dr David qui l'a soignée, a constaté dans son rapport à la justice qu'elle avait reçu cinq affreuses blessures, toutes à la tête. + + + + +
Procès de la femme Jorain, accusée de meurtre. Le jeudi, 9 avril 1829, à 9 heures du matin, la Cour suprême, section criminelle, prend séance pour s'occuper de ce procès.
Une foule considérable remplit la salle d’audience. La prévenue, amenée devant la Cour, déclare se nommer Jeanne Sordoillet, veuve de Claude Jorain, cabaretière, née et demeurant à Versoix. Elle est âgée de 56 ans, d'une taille au-dessus de la moyenne. Son physique et son costume annoncent une femme de la campagne. Elle répond distinctement, mais avec une émotion visible, aux diverses questions qui lui sont adressées. L'acte d'accusation, dont il est donné lecture, porte en substance ce qui suit : Les époux Jorain ne vivaient pas bien ensemble : ils étaient séparés depuis I8I4 ; mais il y a deux ans que la femme était revenue dans la même maison, qui se compose de deux parties, l'une au nord, habitée par le mari avec l'un de ses fils, l'autre au midi, servant de cabaret et de logement à la femme et à un second fils. Le lundi, 9 mars, Charles Jorain fils, après avoir passé la soirée dans le cabaret de sa mère, se retira sur les neuf heures ; il se coucha tout de suite, et à peine était-il au lit, qu'il entendit sa mère passer devant la maison comme si elle allait vers le fumier ; puis en même temps il entendit les pas d'un homme venant de l'autre côté. Sa mère cria : Te voilà, ivrogne ! c'est toujours ton même train, tu viens tous les soirs saoul. Son père répondit : Cela ne le regarde pas. Puis sa mère s'écria : Eh ! mon Dieu ! Il se leva à la hâte, et en arrivant sur le lieu de la scène, il vit son père étendu, tenant par les cheveux sa mère, qui était sur lui, les deux têtes se touchant presque. Il enleva sa mère, qui dit : Tu vois qu'il m'assassine. L'autre fils, Joseph Jorain, qui avait entendu son père et sa mère se disputer, descendit aussi ; tous deux adressèrent des reproches à leur mère, qui leur répondit que son mari était venu plein de vin lui chercher chicane, pendant qu'elle mangeait un morceau de pain. Ils virent alors que leur père saignait ; il était sur ses genoux et sur ses mains, la tête relevée au-dessus du sol, suivant Joseph. Claude Jorain fut apporté chez lui, et soigné d'abord sur une chaise, où il resta à peu près un quart d'heure, puis dans sa chambre, sur son lit, où il expira environ un quart d'heure après. Sa figure était pleine de sang ; on la lava avec de l'eau ; il respira, mais ne parla plus. Le chirurgien qu'on avait envoyé chercher n'arriva que le lendemain malin. L'autorité locale, avertie de cet événement, fit garder à vue la maison pendant la nuit.
Le matin à six heures, la femme Jorain étant sortie de chez elle, fut arrêtée. Elle a déclaré qu'elle était à neuf heures du soir seule devant sa porte, qu'elle mangeait un morceau de pain, et tenait dans sa main un couteau de table qui ne se ferme pas ; que son mari étant venu pour aller chez lui, elle lui dit : Tu fais un beau commerce, voulant parler des ruches d'abeilles, à elle appartenant, qu'il avait vendues ; qu'alors il la saisit par la tête, arracha sa coiffe, et la prit aux cheveux; qu'ils tombèrent tous deux à côté l'un de l'autre, elle sur le côté gauche, son mari plutôt sur le dos; elle tenait toujours le couteau, mais ne sait pas d'en avoir frappé; un de ses fils fit lâcher ses cheveux à son mari; en se relevant, elle vit qu'il saignait au côté gauche du visage : elle n'avait plus alors son couteau; elle se sauva chez elle, où elle s'enferma; elle remit à l'appui de son assertion, un fragment de peigne brisé. Elle a ajouté que, quand son mari s'avança pour la prendre par les cheveux, elle leva les mains devant sa tête pour parer ; elle soutient que, si elle a frappé son mari, ce qu’elle ignore, c'est sans intention et par accident. Les témoins s'accordent : à dire que les mariés Jorain se disputaient souvent, que la femme est lunatique, et que dans ces moments elle est violente et emportée, du reste brave femme ; que le mari était pris de vin lorsqu'il sortit, le 8 au soir de l'auberge de l'Ecu-de-Genève, pour rentrer chez lui. L'autopsie du cadavre, faite par M. le docteur Coindet fils, a démontré que Claude Jorain avait une blessure à la paupière supérieure de l'œil gauche, pénétrant, par un trajet direct, large de sept lignes, à une profondeur de deux, pouces sept lignes, jusqu'au sinus caverneux du côté droit ; que l'hémorragie résultant de cette blessure a causé la mort, soit par la perte de sang extérieur, soit plutôt par l'étouffement causé par le sang répandu dans la trachée et les poumons. C'est en suite de ces charges que la femme Jorain a été renvoyée devant la Cour suprême, comme accusée de meurtre sur la personne de son mari, crime prévu par les articles 295 et 304 du Code pénal. Les débats, dans lesquels sept témoins à charge ont été entendus, et deux à décharge, n'ont rien établi d'important en sus de ce qui est contenu dans l'acte d’accusation ; M. le procureur-général Martin, après avoir résumé les charges, et cherché à établir que l'accusée a agi sciemment et volontairement, a conclu à ce qu'elle fût condamnée à vingt ans de travaux forcés. Spectable Lafontaine, avocat, défenseur de l'accusée, a présenté avec son habileté ordinaire, les moyens de défense. II a soutenu qu'il n'était pas établi que les blessures dont le sieur Jorain a été atteint, notamment celle à l'œil, et qui a occasionné la mort, lui aient été faites par l’accusée ; que la blessure à l'œil, d'après sa direction et sa nature, a probablement, été le résultat de la chute violente et d'un accident. Que cette chute et la position des mariés Jorain expliquent complètement ; que rien ne prouve que la femme Jorain ait agi sciemment et volontairement dans l’intention de blesser son mari, ou de lui donner la mort. Qu'enfin, les circonstances du fait et les violences commises par le mari envers sa femme, plaçaient celle-ci dans la nécessité actuelle de sa légitime défense, cas prévu par l'art. 328 du Code pénal ; ainsi, il y avait lieu de la libérer de l’accusation ; que, dans tous les cas, ce n'était qu'un meurtre par imprudence, passible seulement de peines correctionnelles. La Cour a considéré que l'accusée avait agi volontairement, qu'il n'était pas constant qu'elle eut été portée à commettre l'homicide par la nécessité de sa légitime défense ; que néanmoins il y a eu de la part du mari des faits de provocation, qui devaient être considérés comme circonstances atténuantes. En conséquence, la Cour a condamné la femme Jorain à huit ans de travaux forcés. La condamnée s'est pourvue en recours. Le Tribunal de Recours a rejeté le pourvoi en cassation de la femme Jorain, et maintenu dans son entier la peine de huit ans de travaux forcés, prononcée contre elle. Archives Journal de Genève |
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