La Bâtie
A la Bâtie, le « martinet » est attesté dès le XVIe siècle, la roue qui actionne le lourd marteau de la taillanderie est mise en rotation par une chute d’environ quatre mètres de hauteur qu’alimente une dérivation de la Versoix. A partir de 1770, une papeterie exploite également l’énergie de la chute. En 1841, Lequin est propriétaire de la papeterie, son directeur n’est autre que Achille de Montgolfier, de la dynastie des papetiers d’Annonay, ce dernier participa dans cette usine à des essais de désinfection des tissus avec le médecin Louis-André Gosse, spécialiste de la peste. La papeterie devenue propriété de la Société des papeteries de La Sarraz, Clarens et la Bâtie cessera son activité vers 1880. La Bâtie, vue du nord, vers 1900 – Coll. Bruno Frauchiger Lors de sa promenade annuelle de 1883, le Cercle des agriculteurs a visité la fabrique d’instruments de MM. Roess Frères. Vers 1905, l’entreprise Lacroix Frères fabrique des caisses à cet endroit et le martinet est transformé en atelier de mécanique. C’est ici que l’ingénieur Henri Mercier, pionnier de l’automobile en Suisse romande, prit sa retraite et travailla à ses inventions. La Bâtie est jusqu’alors très animée par le travail donné par les industries, deux ponts permettent le passage sur la rivière et les enfants ont une école dans le hameau. La Bâtie vers 1900, à gauche la papeterie, à droite le moulin et le bâtiment de l’école - Archives APV Le samedi 20 janvier 1906, un incendie se déclare dans une partie du bâtiment de l’ancienne papeterie appartenant à Hans Weber, occupé par la fabrique de parfumerie de M. Freiss. Une bonbonne déposée près de la chaudière explose et enflamme les ateliers. Malgré l’intervention des pompiers qui sauveront les bâtiments voisins, la fabrique sera entièrement détruite. Les vestiges de cette usine ont été remis en valeur en 2009 à l’initiative de l’association Patrimoine Versoisien. Action de la société des papeteries de la Sarraz, Clarens et La Bâtie, 1865 Coll. Georges Savary Probablement à la suite de cet incendie, l'entrepreneur Colombo demande une autorisation de construire pour l'atelier de Vve Carquillat et Fils, à la Bâtie. Cette entreprise fabriquait des filières utilisées pour étirer les filaments des ampoules électriques. M. Carquillat perdit la vie tragiquement en descendant à vélo la route de St Loup alors qu’il se rendait à Versoix pour fêter l’armistice. L’activité de l’usine s’arrêta peu après mais lors de la deuxième guerre, les services de la Confédération demandèrent à Mme Carquillat de la remettre en marche pour pallier les difficultés d’approvisionnement de ce type de produits. Plusieurs jeunes filles de Richelien et Collex travaillèrent dans cet atelier pendant cette période. L’ancienne fabrique de la famille Carquillat, vers 1980 - Coll. Georges Savary La Versoix, source d’énergie, fut aussi à l’origine de drames. Plusieurs personnes, en particulier des enfants, ont péri dans les eaux agitées de ce cours d’eau. La «planche de Richelien» donnera quelques inquiétudes aux riverains qui désiraient traverser la rivière, voici la description qu’en faisait un usager :
« (…) Cette passerelle consiste en une poutre d’une trentaine de pieds de long environ sur 9 pouces de large, tout à fait vermoulue dans sa longueur et de plus cassée au milieu (…) Hier encore, me rendant avec deux amis de l’autre côté de la Versoix pour une affaire pressante, tous les deux sont tombés dans l’eau (…). »
La planche de Richelien, vers 1890 – Archives APV
Le Café de la Versoix existe déjà en 1890, il fut pendant longtemps propriété de la famille Roess-Mercier. Son aire de pique-nique permettait aux promeneurs qui y venaient en excursion de s’y restaurer. Au début du XXe siècle, il prend le nom de Rendez-vous des Chasseurs et au fil des années devient un restaurant incontournable, connu loin à la ronde pour sa spécialité de truite meunière et ses mets de chasse. Un emplacement de pique-nique ombragé permettait aux promeneurs de s’y reposer. L’écrivain L. Willemin parle de ces lieux :
« A la Bâtie ombrages épais, gazon touffu. Campés sous un vert noyer, nous ouvrons les sacs et faisons honneur à leur contenu. Qu’ils sont charmants ces repas sans apparat. » Les derniers propriétaires, M. et Mme Cohanier, cessèrent son exploitation au début des années 2000, après plus d’un siècle d’existence de l’établissement.
Le café de la Versoix vers 1906 – Archives APV Emile Ginet, mégissier-palissonneur, fils d’ouvrier papetier, écrit en 1890 dans son recueil intitulé Poésies d’un ouvrier : LA BÂTIE Souvenirs d’enfance
De mes pas détruisant la trace En vain le temps fuit et s’efface, Je le revois en souvenir L’abri de mes jours sans défense, L’asile heureux de mon enfance Dont je viens vous entretenir.
Vers les confins de l’Helvétie, Au lieu qu’on nomme La Bâtie, Mes parents faisaient leur métier ; Tout au bas de notre cuisine Passait le canal de l’usine Où l’on fabriquait du papier.
Nous avions au deuxième étage Un logement en briquetage Avec des meubles en bois blanc ; J’y vois - tant j’ai bonne mémoire- La place qu’occupait l’armoire, Le buffet, la table et le banc.
[…] Là nous avions un coin de terre, Petit jardin qu’avec mon père Nous aimions cultiver, le soir ; Moi j’arrachais l’herbe nuisible Ou bien dans le ruisseau paisible J’allais remplir mon arrosoir. Le 21 juin 1919, le Conseil municipal autorisa Edouard Sergy, à loger 10 personnes et leur donner la pension, il paiera la redevance annuelle de 24 francs. Une publicité dans le carnet de membre de l’Association des habitants de Richelien-La âtie, datant de 1910, nous annonce que Napoléon Thevenod, horticulteur-paysagiste, a établi une pépinière à la Bâtie. Sept ans plus tard, Georges Ditzoff part de son village des Balkans et vient travailler avec ses deux oncles Katzarkoff qui exploitent des cultures maraîchères à la ferme du Petit-Saint-Loup. L’année 1939 marque un tournant pour le jeune homme. Il décide de se mettre à son compte et s’installe au bord de la Versoix. Bientôt, comme en Bulgarie, pastèques et melons sont cultivés dans la terre sablonneuse. Malheureusement, la Mobilisation coupe l’élan de la petite exploitation qui ne peut résister à la pénurie d’essence qui rend impossible les livraisons. Ces terrains deviendront propriété d’Othmar Rey, passionné par le cheval, qui construira un manège et y établira une école de dressage qui fête cette année son cinquantième anniversaire.
En 1947, Le Grand Conseil refuse à Jean Estier la création d’une nouvelle usine électrique à la Bâtie, à l’emplacement de l’ancienne papeterie. L’Union genevoise des sociétés de pêche, soutenue par divers groupements de protection de la nature s’était opposée à ce projet nécessitant la construction d’un barrage vers le pont de Bossy pour alimenter un groupe de 500cv réclamant un débit de 3 m3 d’eau à la seconde.
Henri Cordier acquit de M. Jacottet, bijoutier, une propriété à la Bâtie. Après avoir dirigé à Genève une entreprise de primeurs en gros, il créa le Parc avicole de la Colline, une entreprise modèle d’élevage de volailles et de production d’œufs qui fonctionna jusqu’au milieu des années 1980. Henri Cordier fut conseiller municipal et président de l’Association des intérêts de Richelien-la Bâtie pendant de nombreuses années.
Le rempoissonnement de la rivière était déjà une préoccupation en 1911, année où la Société genevoise de pêche mettait à l’eau dix mille alevins vers le pont de Richelien. Au début des années soixante, une pisciculture moderne était en activité à la route de la Bâtie, c’est dans ces bassins que M. Richard faisait l’élevage des truites. Ces installations furent reprises par l’Etat de Genève. A la fin de l’été 1987, un étang a été aménagé à la route de la Bâtie, permettant aux amoureux de la pêche de s’adonner à leur sport préféré. Les habitations de La Bâtie sont aujourd’hui restaurées, redonnant au quartier son lustre d’antan. Les nouvelles générations pourront à leur tour profiter de cet endroit au riche passé, bercé par le murmure de la Versoix. Extrait de Richelien-La Bâtie, un siècle ensemble 1910-2010. Georges Savary 2010
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