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BONIFAS Paul Ami (1893-1967)

C’est au début de 1914 que Paul-Ami Bonifas entreprenant et déjà suffisamment confiant, monte son premier atelier de céramique à Versoix (quartier de Belles-Iles). Il a vingt et un an et collabore avec Alice Sordet qu’il épousera en 1917 et qui partagera sa vie et son travail jusqu’en 1940. Il y construit deux fours à bois, de haute et basse température, qui doivent lui permettre de réaliser une production d’objets précieux tels que boîtes, pendulettes, garnitures de toilette, etc.
Ce sera pour lui l’occasion de développer ses recherches techniques sur les matériaux dont il dispose, en mettant à profit ses connaissances de chimie et de minéralogie acquises au cours de formation.
La production de cette époque nous est parvenue de façon fragmentaire puisqu’un incendie détruit son atelier le 23 décembre 1919.
Il s’installe ensuite à Ferney-Voltaire (1922-1940). De 1920 à 1922, il se rend souvent à Paris où il travaille dans l’industrie, puis est secrétaire de la revue L 'Esprit nouveau. Ses travaux sont conformes à l’esprit puriste de l’époque moderne. Soucieux de mettre en valeur les procédés mécaniques de façonnage, Bonifas a souvent recours au moulage ou calibrage. On connaît surtout ses émaux noirs lustrés et ses blancs craquelés. Dès 1927, Bonifas signe de nombreux articles sur l’artisanat et l’industrie ou sur la philosophie de l’art, notamment dans l’œuvre et dans la Vie-Art-Cité. En juillet 1945, Bonifas saisit l’opportunité qui lui est faite d’aller enseigner la céramique d’art à l’Université de l’Etat de Washington, il émigre avec sa nouvelle femme, Simone, à Seattle. En 1958, il se retire de l’enseignement pour se consacrer uniquement à son travail, ceci jusqu’à sa mort en 1967.

 Le céramiste de Versoix

Il a nom Paul Bonifas, artisan, fils d'artisan. Il faut voir, au Musée des arts décoratifs, ses grès cérames, ses faïences et ses porcelaines. Toutes les pièces témoignent d’un goût délicat, et quelques-unes méritent, déjà, de figurer dans un musée. De sourdes harmonies, en mineur, puis la fanfare d’un ton brillant. Un sentiment très fin de la tonalité, une manière à soi de marier les gammes. Rien que des mariages d’amour, et pas de divorce. Bonifas ne décore pas des formes : il laisse naître et fleurir le décor, quand il le faut, seulement quand il le faut. Certaines formes se suffisent : nues, elles sont assez vêtues. Alors il les laisse vivre ainsi, à peine poudrées d’émail. D’autres, il les revêt entièrement, d’un vêtement qui fait corps, sans alourdir la ligne. Défense de toucher, dit l’écriteau. Quel dommage ! L’œil ne suffit pas : une volupté tactile voudrait se contenter. Mais le gardien veille et surveille. Il faut garder sa convoitise, et souhaiter de revoir tout cela, bientôt. Cela et autre chose. Paul Bonifas est un homme à surprises. Et son complice le Feu — complice qui trahit parfois — le servira plus souvent. Quelle promesse et quel réconfort de savoir qu’il est chez nous, encore, de jeunes talents pleins de sève !            A.D.  

La Suisse - 24 novembre 1915

 Ce jour-là :  23 décembre 1919

Le feu détruit les ateliers du potier d’art Bonifas

Un incendie a détruit, hier matin, les ateliers de M. Paul Bonifas, le réputé potier d’art de Versoix. Ces ateliers occupaient un petit bâtiment de six mètres de longueur et autant de largeur construit mi-partie en maçonnerie, mi-partie en bois, entre la fabrique de chocolats Favarger et la Versoix, près du talus du chemin de fer. Le rez-de-chaussée était occupé par deux fours, un grand four, et un moufle, tandis que le premier étage était réservé aux bureaux, aux moulages, au tournage et au dépôt des poteries à cuire ou terminées.

Le sinistre

Les premières flammes furent aperçues par le veilleur de nuit de la fabrique de chocolat voisine, M. Jaquier, qui sonna la cloche pour donner l’alarme. La gendarmerie de la commune, le garde Garin, puis les pompiers, sous les ordres du capitaine Harder, firent tous leurs efforts, l’impossible même, pour combattre le sinistre. Mais le joran soufflait avec une telle violence que les flammes embrasèrent bientôt tout le bâtiment. Les sapeurs durent borner leurs efforts à préserver un dépôt voisin contenant des poteries terminées, ainsi qu’un hangar loué à M. Camille Bertoncini, peintre en bâtiments. Trois lances, braquées sur le foyer, finirent par noyer les flammes mais le feu avait achevé son œuvre. Il ne reste plus que des murs calcinés. Le toit, le plancher et les poutraisons n’existent plus. Il faudra presque tout refaire. Le fruit de quatre ans et demi d'efforts de M. Bonifas est anéanti. Des trésors artistiques en quantité considérable sont détruits. Grâce à un labeur acharné, M. Bonifas était arrivé à acquérir une grande réputation par ses grès et porcelaines d’art, il s’était établi il y a quatre ans et demi dans le bâtiment incendié qui se composait alors de deux écuries et d'une remise. Peu à peu. l’artiste avait transformé les locaux en ateliers de poterie qui n’avaient pas tardé à acquérir une grande renommée aussi bien en Suisse qu’auprès des collectionneurs de l’étranger. A plusieurs reprises, M. Bonifas avait attiré l'attention sur lui par son travail ingénieux marqué au coin d’un esprit inventif. Utilisant des matières premières dont on avait peu coutume de se servir mais dont la guerre l’avait obligé à tirer parti, M. Bonifas avait réussi à fabriquer de saisissants objets artistiques qui, par leur destination, pourraient prendre place dans la vie quotidienne C’est ainsi qu’il fit de remarquables lampes, vases, pots, flacons à parfum, boîtes, etc.

Ce que dit M. Bonifas

Dans la maison en ruines, sous l’enchevêtrement des poutres calcinées, nous avons conversé un instant avec M. Bonifas qui nous a dit sa désolation devant tous ses travaux anéantis :

« Voici-quatre ans et demi — en juillet 1914 pour préciser — que je m'étais installé ici. Tout le résultat d'un travail acharné est perdu. Plus de deux cents modèles sont détruits, ainsi que les produits chimiques et les émaux. Il me reste seulement une trentaine de pièces en bon état Evidemment, je me remettrai au travail, mais rien ne me rendra mes 21 ans. Et j'en ai 26 aujourd'hui. Voici toutefois deux vitrines qui, chose étrange, sont restées intactes. Les glaces de Saint-Gobain qui les protège ont résisté à l’action du feu. La valeur des marchandises détruites peut être estimée à une vingtaine de mille francs. Mais ce que je déplore le plus, c’est la perte de mes cahiers de formules, les modèles et les dessins. Il y avait une quantité énorme de travaux en cours, en vue des fêtes. Cent flacons de couleurs ont également disparu. Notons encore l’anéantissement d’un important matériel, de modèles, de moulages et d’émaux. Il reste cependant encore de jolies choses du salon d'exposition.

C’est la faute aux rats

II résulte de l'enquête qui a été ouverte par M. Gervaix, adjoint, que le sinistre a eu pour cause une fissure à la voûte d'un four qui avait été chauffé la veille à 930 degrés. Le four avait été éteint à 4 heures et quart et le dernier ouvrier était parti à 5 heures et quart, sans rien remarquer d’anormal. Des rats, suppose-t-on, ont fait tomber du toit, du foin sur la fissure de la voûte du four. Il est heureux que les pompiers aient eu le temps de sortir la provision de benzine, ce qui a évité un sinistre plus grave. Père depuis peu de jours, M. Bonifas était auprès de sa jeune femme, à Genève, lorsque le sinistre a éclaté. Appelé par téléphone, lorsqu’il arriva en auto-taxi à Versoix, ses ateliers ne formaient plus qu'un brasier. La société immobilière Floreor, propriétaire de la construction est assurée, ainsi que M. Bonifas, mais aucune somme ne compensera la perte artistique. 

La Suisse 24 décembre 1919

Bibliographie : L’ART DU POTIER PAUL AMI BONIFAS, Edmond Beaujon-Ozenfant – 1961 – Edition de la Baconnière (épuisé)

BOAS-Paul Bonifas, céramiste du purisme. Musée de l'Ariana 1997

Archives Journal La Suisse

 



 

Paul Ami Bonifas (1893-1967) Photographie de Fred Boissonnas, Paris, vers 1920
 
 


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