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LUCHENI LUIGI LE MEURTRIER DE SISSI

Luigi Lucheni est connu pour avoir assassiné l’impératrice d'Autriche Élisabeth de Wittelsbach, dite « Sissi », à Genève en 1898.

 

A la suite de son arrestation, l’identité de Luigi Lucheni fut établie à la suite des renseignements émanant du parquet de Budapest. On savait déjà que cet individu n’avait rien de commun avec un nommé Succiati qu'on avait un instant confondu avec lui. Elle l'est plus que jamais à la suite d'une confrontation qui a eu lieu dans le cabinet du juge d'instruction.

M. Léchet avait fait convoquer M. Papis entrepreneur à Versoix chez lequel on savait que Lucheni avait travaillé il y a quelques années. M. Papis a retrouvé ses carnets d'attache et il a pu établir que le prévenu avait été occupé par lui pendant dix mois de 1891 à 1892 sous le nom de Luigi Lucheni. Comme L. a séjourné à Versoix avant de se rendre en Italie pour faire son service militaire on est désormais définitivement fixé sur son identité.

Lucheni fut condamné à la réclusion perpétuelle et détenu à la prison de Saint-Antoine.

Le 21 novembre 1898, le procureur général avait convoqué à son bureau MM. Juillard commandant de gendarmerie, Lafond directeur de la prison de Saint-Antoine et Perrin directeur de la maison de force de l'Evêché. M. Navazza informa ces trois fonctionnaires que M" Pierre Moriaud ayant retiré le pourvoi en cassation qu'il avait formé au nom de Lucheni. Ce dernier devait être transféré pendant la nuit d'une prison dans l'autre. Le secret le plus absolu avait été recommandé. A 10 h. 40, M. Lafond réveilla Lucheni qui dormait paisiblement.

— Habillez-vous lui dit-il le moment est venu. Lucheni qui s'attendait à partir mais n'avait pas été prévenu répondit.

— C'est pour aller là-haut ?

 — Oui.

— Je suis prêt. Ça ne me fait rien.

Le condamné fut ensuite invité à se rendre dans le cabinet du directeur. M. Lafond lui expliqua sommairement le régime de l'Evêché lui faisant quelques exhortations. Très affaissé un peu affaibli sans doute Lucheni répondit en remerciant. M. le directeur lui fit savoir que quatre fois par an il pourrait recevoir pendant quelques minutes des visites d'amis et toutes les semaines celle de M l'abbé Blanchard aumônier catholique-romain.

— C'est un digne prêtre humain et doux. Vous pouvez penser ce que vous voudrez de la religion mais il sera pour vous un ami et un conseiller.

Le condamné ne répondit rien cette fois non plus.

Il fut ensuite remis entre les mains de cinq gendarmes. Deux gardiens précédaient, des lanternes à la main ; le groupe traverse à onze heures du soit la cour de la prison, passe par les escaliers intérieurs du palais de justice et traverse la cour. Les gendarmes firent alors rapidement passer Lucheni par le Bourg de-Four désert à ce moment-là et lui firent monter l'escalier des Degrés de poules. Quelques minutes plus tard le groupe arrivait devant la porte de l'Evêché. Lucheni regarda encore bien autour de lui comme s'il attendait un secours quelconque à ce moment suprême puis il haussa les épaules et entra dans le vestibule. Il venait pour la dernière fois de sa vie de fouler le sol de la ville de Genève. M. Perrin directeur de l'Evêché l'attendait. Il le fit conduire dans le quartier B. le fit déshabiller lui fit endosser le costume de forçat et ensuite donna aux gardiens l'ordre de l'enfermer dans la cellule no 95. La lourde porte de cette cellule se referma sur lui. Ce fut ainsi que Lucheni fit son entrée dans la maison de force, dont il ne sortira plus vivant. Il sera soumis pendant six mois au régime de l'isolement. On lui donnera du travail dans sa cellule et s'il se conduit bien on verra s'il y aura lieu de l'envoyer dans les ateliers.

Dès ce moment Lucheni n'existe plus qu'à l'état de numéro ; on lui a donné le 1144. Il porte en outre le numéro de sa cellule sur sa vareuse (no 95) et tous ses vêtements sont pourvus de la grande bande noire des condamnés à perpétuité. Le journaliste de la Tribune de Genève écrit:-" Lucheni a commencé aujourd'hui même à subir son châtiment : dès cet instant il a droit lui aussi à l'oubli et nous pouvons enfin supprimer de nos colonnes cette rubrique " Affaire Lucheni ".

Un point d’histoire

Le Réveil socialiste-anarchiste du 4 janvier 1913 publie sous ce titre un article sur la détention de Lucheni et sa mort en prison :

"Un positiviste, M. Fehmi vient de faire paraître une brochure sur l’Affaire Lucheni1 et nous donne des détails précis sur la façon dont le détenu fut véritablement « suicidé ». L’auteur a visité la prison de l’Evêché à Genève, il a fait une enquête auprès des autorités pénitentiaires. Il se borne à rapporter simplement ce qu’il a vu et entendu, impartialement, honnêtement. Et ce que M. Fehmi, qui est loin de nos idées, a vu est horrible. Malheureusement rien ne peut être contesté.

Lucheni, qui avait donc tué l’impératrice d’Autriche en 1898, avait été condamné à la prison perpétuelle. Il s’était résigné à son sort, s’occupait à la confection de babouches, à la reliure, au cartonnage. « Son travail était même lucratif pour certains Genevois. Les étrangers achetaient une paire de babouches, un livre relié, des bibelots divers, à des prix assez rondelets, lorsqu’ils étaient assurés que c’était là l’œuvre de l’assassin de l’infortunée impératrice Elisabeth. Un pasteur évangéliste alla même jusqu’à vendre à une Américaine, en 1912, un manuscrit de quelques dizaines de pages où Lucheni, dans un français passablement éloquent, invoquait le nom de sa mère avec une réelle tendresse . C’est vraiment joli, ces honnêtes bourgeois qui battent monnaie de la production d’un malheureux qu’ils tiennent enfermé. Il n’y a pas de petits profits...

Ainsi Lucheni purgeait sa peine, lorsqu’un journaliste auquel on aurait refusé la communication de mémoires du régicide, se vengea bassement des autorités sur le dos de Lucheni en écrivant que celui-ci passait ses jours à travailler peu, à écrire beaucoup, à fumer des pipes, à chanter des cantiques. Ces exagérations furent colportées jusqu’à Vienne. Il en résulta des observations diplomatiques. Comme toujours la Suisse républicaine, aux pieds des nations, fit voir son indépendance. Le directeur de l’Evêché reçut l’ordre de serrer la vis à Lucheni. Pour des vétilles, il subit l’encellulement. Mais ce fut bien pis lorsque la prison changea de directeur. Le nouveau maître de l’Evêché, un M. Jean Fernex, ancien petit commis aux écritures, donna vite satisfaction à ceux qui le nommaient et exécuta nettement ce que les « pressions étrangères » attendaient.

Quelques jours après son installation il envahit la cellule de Lucheni avec quatre gardiens et lui dit :

-     Je suis chargé de vous mater, moi. Bonsoir.

Pendant les trente-quatre mois que Lucheni vécut sous la direction de M. Fernex, il ne subit guère que des punitions. On le mit au « cachot » à tout moment, alors que le cachot n’avait plus été employé depuis les guerres religieuses. M. Fehmi s’est fait montrer cette partie de la prison. Le cachot à l’Evêché ne reçoit de lumière qu’une demi-heure par jour. Les rats glissent entre les jambes en poussant des cris stridents. Ni siège, ni grabat. On jetait au prisonnier une miche de pain et une écuelle d’eau. Le pain, il fallait qu’il le disputât sans cesse à la voracité des rats. Lutte angoissante où un être humain débilité par 12 années d’encellulement ne pouvait espérer de salut que dans la mort. Une corde et un crochet pour un homme enfermé là, c’est l’ultime joie. M. Fernex le savait, il savait aussi, lorsque le 16 octobre 1910, après avoir bastonné Lucheni et démis sa mâchoire en le poussant à coups de poing et à coups de pieds dans le cachot, qu’il le retrouverait trois jours après pendu avec une ceinture de cuir mise complaisamment à sa disposition.

La minuscule lucarne qui doit aérer le cachot est invisible de l’intérieur. Pour atteindre les barreaux de cette lucarne et suspendre la ceinture, Lucheni était donc obligé de démolir plus d’un mètre de muraille en glacis. Or cette démolition le détenu l’a faite avec ses doigts, m’a déclaré M. Fernex. C’est matériellement impossible. M. le Directeur de l’Evêché s’est moqué de moi. Cette démolition n’a pu se faire qu’avec une pioche ou un marteau. Et même avec un instrument semblable, le détenu aurait fait du bruit. Or, d’après le règlement, un prisonnier qui subit la peine du cachot ne doit jamais être perdu de vue. Bref, le 19 octobre, Lucheni était pendu.  Les effets étaient en lambeaux, ses jambes étaient contournées comme si l’on avait exercé sur elles une torsion, sa face déformée et tuméfiée, ses yeux désorbités. Une photographie prise à ce moment-là existe dans les archives judiciaires. On en a refusé communication à Me Pierre Moriaud lui-même, le propre défenseur de Lucheni. C’est qu’elle est hideuse, et qu’elle prouve trop bien une volonté impérieuse d’en finir avec un prisonnier par trop gênant politiquement parlant.  Tel est le régime de condamnation à mort appliqué à un homme que l’hypocrisie démocratique et chrétienne présentait comme n’ayant pas été condamné à mort. L’atrocité du procédé employé restera dans l’histoire — dans l’histoire des bassesses et des cruautés classiques des gouvernants suisses. Et tout cela n’est point flatteurs pour nous, gens du peuple, qui supportons de pareilles mœurs en plein vingtième siècle."

Georges Savary, janvier 2021

1 Chez Vigot frères à Paris

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